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Instincts, centres et sous-types (3e partie)
Antonio Barbato (Traduction par Jean-Luc)

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Les sous-types

Dans son article en quatre parties [Retour sur les sous-types, mai-octobre 2001], Gloria Davenport fait une très bonne synthèse récapitulant les vues de plusieurs auteurs sur les sous-types. Je me limiterai, donc, à examiner quelques idées que Gurdjieff, Ichazo et Naranjo ont exprimées à ce sujet.

À mon avis, l'énergie des instincts n'est ni bonne ni mauvaise, elle est neutre jusqu'à ce qu'elle soit cooptée ou influencée par l'énergie de la passion. C'est alors, que le flux normal de l'énergie instinctive est dévié de son but neutre et approprié.

Ma théorie est que l'énergie instinctive elle-même est toujours identique et n'a pas d'autres caractéristiques que ses qualités de base (expansion, contraction et adaptation). Par conséquent, c'est seulement par la présence et l'influence de la passion que nous différencions en tant qu'individus ayant un ensemble de caractéristiques pouvant être classées dans des types.

La passion colore chacun des trois instincts (sexuel, conservation et social), provoquant des variations appelées sous-types. Neuf passions que multiplient trois instincts produisent ainsi 27 sous-types.

Je ne sais pas avec certitude si ce point provient de la lecture de Gurdjieff, d'Ichazo ou de Naranjo.

Gurdjieff

Gurdjieff a maintenu qu'il y avait 27 types d'humains. Avant que j'apprenne l'Ennéagramme des personnalités d'Ichazo, je me suis souvent demandé ce que pouvaient être au juste ces types. Gurdjieff n'en avait jamais donné une description claire et compréhensible. Et j'ai alors pensé que Gurdjieff retenait intentionnellement ces informations à propos des types parce qu'il les utilisait dans sa méthode de travail sur les gens. Par exemple, la tâche principale pour un étudiant travaillant sur le Système pour le Développement Harmonique des Hommes était de comprendre ses émotions négatives, et en particulier l'émotion négative dominante. Dans ce processus, le professeur ne pouvait faire aucune suggestion à l'étudiant de peur que le travail de ce dernier n'en devienne inutile.

Cependant, quelques descriptions étaient si précises qu'il ne pouvait y avoir aucun doute que Gurdjieff était bien au courant des mécanismes des passions. Il était aussi conscient que les impressions s'accumulent dans un certain ordre qu'il a appelé la parenté ou l'affinité, "ce que les êtres de chaque type perçoivent inévitablement dans telle ou telle situation, comment ils le perçoivent, et ce qui sera leur réaction". Et il a maintenu que la nature de l'homme, "est faite de trois personnalités tout à fait séparées, qui n'ont et peuvent avoir rien en commun pour ce qui concerne la nature de leurs réactions ou leurs manifestations". (Les Contes de Belzébuth, p. 443-444 de l'édition révisée).

Même s'il se rendait compte qu'une personnalité était formée autour d'un centre contenant un faisceau de caractéristiques, il n'a pas compris que ces caractéristiques étaient organisées par la passion qui unifie les émotions négatives dans des réponses fixes et reliées entre elles. Gurdjieff écrit : "Chaque personne se compose d'une certaine manière de trois personnalités distinctes… De telles personnalités n'ont, ni ne peuvent rien avoir en commun entre elles, et notamment ni leur nature originale, ni leurs comportements." Par conséquent les 27 types de Gurdjieff sont nos sous-types.

Je suis d'accord totalement avec sa formulation et veux souligner ce point. Nous devons nous rappeler que les sous-types sont des impulsions spécifiques provoquées par nos passions qui corrompent nos réponses instinctives normales et les corrompent avec un contenu émotionnel.

Ichazo

À la différence de Gurdjieff, le génie indiscutable d'Oscar Ichazo se situe dans la perspicacité qu'il a eue de dire que la racine de la personnalité est formée autour d'un manque spécifique et fixe. Comme un trou noir, ce manque attire un faisceau des réponses émotionnelles.

Cependant, les premiers écrits exprimant les idées d'Ichazo (La Formation Arica, par Charles Tart et John Lilly) affirmaient qu'il n'y avait aucune correspondance obligatoire entre une fixation particulière et les aspects social, conservation et sexuel de la personnalité. En d'autres termes, les individus peuvent avoir leur pensée, ou leur attention, fixée sur un point, tandis que leurs instincts sont fixés sur trois points différents selon la Loi de la circulation d'Ichazo. Par exemple, bien que votre fixation soit celle du 9, vous pourriez être un 7 dans votre aspect social, un 9 en termes d'instinct de conservation, et des 4 dans vos relations. Ainsi, Ichazo a encore proposé la vieille idée de Gurdjieff des "personnalités totalement différentes".

Dans une conférence donnée au Collegiate Theatre à Londres, Ichazo a déclaré : "Chacune des trois raisons se transforme en ce que nous appelons un type ou une entité égotique. [Note du rédacteur : Ichazo se réfère ici à une forme de raison inhérente à chaque instinct. Par exemple, la raison de l'instinct de conservation (ou ego historique) est la raison empathique ; la raison de l'instinct sexuel (ou ego d'image) est la raison analogique ; la raison de l'instinct social ou d'adaptation (ou ego pratique) est la raison analytique.] Donc il y a trois entités égotiques en nous." Plus tard, dans ses Lettres à l'école en décembre 1987, il a affirmé que cela ne faisait pas sens de parler de types parce que "les fixations sont pratiquement accidentelles, et ainsi elles ne peuvent pas correspondre sémantiquement ou logiquement à un type qui suppose des dispositifs immuables et permanents."

En outre, dans Les Systèmes hypergnostiques, Ichazo a ajouté encore une autre complication en présentant l'Ennéagone des aspects négatifs des instincts d'adaptation, de conservation et de relation. Les mots qu'il a employés pour décrire ces aspects négatifs n'avaient aucun rapport avec les mots qu'il avait l'habitude d'utiliser pour décrire les fixations des instincts.

Ainsi, Ichazo a fait la distinction entre les manifestations psychologiques des instincts et les fixations de l'ego (ou les raisons) qui en découlent.

Trois questions

Je pense qu'arrivé à ce stage, il est important de mettre de l'ordre dans nos idées et de se poser trois questions :

  1. Quelle est la différence, s'il y en a une, entre les aspects négatifs des instincts, les fixations des instincts, et les fixations des types de personnalité ?
  2. L'idée que trois ego différents existant en nous est-elle valide ?
  3. Quel rôle la passion joue-t-elle dans ce jeu ?

Concernant la première question, je dirais que ce qui se rapporte aux aspects négatifs des instincts présuppose un jugement de valeur. C'est une erreur car les instincts n'ont aucune négativité inhérente. Sous leur forme pure, les instincts sont neutres. Par conséquent les aspects négatifs surgissent seulement quand les instincts sont corrompus par une énergie séparée qui vient de la passion. En outre, il semble peu probable qu'il y ait une différence entre la manifestation négative psychologique des instincts et les fixations des mêmes instincts.

La deuxième question mérite une réponse plus profonde car elle est au cœur du problème. Une réponse philosophique à la thèse d'Ichazo consiste à appliquer le rasoir d'Occam : "les entités ne devraient pas être multipliées sans besoin." En l'occurrence, si l'individu est un, alors l'ego est également un.

Il y a une autre raison valide de remettre en cause le concept d'Ichazo de trois ego différents. Si chacun a trois ego séparés, alors il a aussi trois personnalités séparées, ce qui est l'équivalent du diagnostic moderne du syndrome des personnalités multiples. Chez une personne normale, l'ego doit être fort et constant afin d'agir comme une défense unificatrice contre une telle ‘'maladie''.

Si nous ne considérons pas que tout le monde souffre de trouble de la personnalité, alors nous devons conclure que l'ego, contrairement à la vue d'Ichazo, a certaines constances et caractéristiques qu'il est difficile de changer.

En résumé, les trois parties de notre être (corps, émotions et esprit) utilisent des langages différents, mais font toutes partie d'un système unitaire car elles emploient la même énergie. De la même manière, les trois fonctions de notre cerveau – le complexe reptilien ou système striatal, le paléencéphale ou système limbique, et le néencéphale ou néocortex – ne constituent pas trois organes différents, mais forment un système unitaire qui incorpore les différentes fonctions.

La réponse à la troisième question est claire et significative : la passion doit être l'élément central de notre personnalité. La passion est une réponse spécifique au drame ou à la blessure originelle, qui est provoquée par des pressions fortes tôt dans l'enfance. La passion est une réponse émotionnelle fixe à partir de laquelle naît l'ego.

Naranjo

Tout en écrivant la première partie de cet article, j'ai encore une fois écouté mes enregistrements du premier atelier de Claudio Naranjo sur les sous-types fait il y a quelques années en Italie. Ses pensées étaient éclairantes. Il était clair que les instincts sont envahis par l'énergie de la passion. Cette énergie compense et équilibre le vide. Ainsi nous n'éprouvons pas les instincts sous leur forme pure, mais dans une version corrompue. Plus tard, il a décrit cet instinct imprégné de passion comme une énergie qui aurait pris la forme d'une passion secondaire.

Pour décrire cette situation, Naranjo a comparé la passion à un roi qui règne à travers son premier ministre. Le premier ministre apparaît au monde comme le dirigeant, mais c'est le roi, caché derrière lui, qui a le vrai pouvoir. La métaphore de Naranjo a l'avantage de diriger l'attention sur une idée fondamentale à la compréhension des sous-types.

Par exemple, la passion du 8, l'excès (luxure), est enracinée dans la nécessité de ne pas être limité dans la recherche de la satisfaction. Dans un sous-type social, il est facile de comprendre comment cette passion doit tenir compte des limitations environnementales. La recherche de la satisfaction devient une recherche des personnes qui partagent les mêmes désirs. Le 8 social est décrit avec des mots tels que complicité, amitié ou le pacte de sang. Mais quels que soient les mots employés, ils reflètent la passion originelle, l'excès. De ce point de vue, le terme de sous-type est précis et logique.

Naranjo a également admis que les gens peuvent avoir deux sous-types principaux d'égale valeur. Déjà en 1992 il s'était rendu compte que ces variantes dans la passion provoquaient des différences distinctes parmi des personnes du même type.

Dans Conversation avec Claudio Naranjo (Enneagram Monthly, avril et mai 1996), il énonce : "Plus j'observe les personnes, plus les sous-types se différencient. Au début, il m'a semblé que seuls les 6 étaient fortement différents dans les trois sous-types… Mais plus je regarde, plus les autres types semblent être très différents en fonction du sous-type."

Cependant, Naranjo ne donne pas d'explication sur les causes des différents comportements au sein d'un type.

Le terme sous-type est-il précis ?

Gurdjieff a indiqué que le type est déterminé par des émotions négatives spécifiques. En même temps, l'explication de Naranjo au sujet du rapport entre le type et les réponses instinctives semble tout aussi exacte.

Par conséquent, contrairement à la suggestion de Gloria Davenport (Enneagram Monthly, juillet-août 2001), le terme sous-type est correct. Ce terme ne décrit pas le jeu libre des instincts, mais une forme spécifique qui est subordonnée à la passion de la personnalité. Je prétends cela après avoir travaillé pendant des années avec des personnes qui avaient réussi à se libérer, au moins en partie, de l'influence de la passion de leur type : ils avaient tous noté des changements importants et concomitants de leurs réponses instinctives.

Deux exemples pratiques clarifient ce point. D'abord, une femme 9 de sous-type conservation (Appétit) a commencé à se prêter une plus grande attention et considération pendant que la passion de paresse s'amenuisait. L'influence décroissante de la paresse a eu un profond effet sur son appétit. Pour la première fois, elle décida de changer de look en entreprenant un régime strict. Les résultats furent étonnants : elle a perdu 30 kg en quelques mois. En même temps, elle a décidé de se séparer de beaucoup d'objets inutiles qu'elle avait gardés sans raison.

Dans le deuxième exemple, un 4 de sous-type conservation entretenait sa frustration et son mécontentement en retenant pathologiquement l'éjaculation (aspermia psychogenic), même après des rapports sexuels très longs avec sa partenaire. Travailler sur son désespoir (drame originel ou blessure du type 4) et ensuite sur la libération partielle de l'envie l'a aidé à guérir et il a fini par avoir des relations amoureuses satisfaisantes.

Considérations additionnelles

Les différences apparentes dans les sous-types sont dues à la prédominance d'une des polarités de la passion (La structure des passions, Enneagram Monthly, mars et avril 2000). Par exemple, dans le type 1, la polarité de la sensibilité, qui est implosive et défensive, est prédominante dans le sous-type conservation. La sensibilité rend ce sous-type très attentif au monde émotionnel, de la même manière qu'un type 4 mais en étant beaucoup mieux protégé des dangers possibles.

Au contraire, le sous-type sexuel du 1 ressent plus fortement la polarité de la sécurité, qui est explosive. Cette polarité pousse l'individu à agir comme un 7, avec la conviction optimiste de pouvoir changer le monde, ce que les praticiens de l'Ennéagramme appellent le zèle.

L'exemple le plus dramatique de ces tensions est dans le type 6. La polarité de la reddition domine le sous-type conservation, exigeant de l'individu d'avoir besoin d'aide constamment, aide qu'il n'a pas obtenu en raison du drame originel. Cette tendance à la reddition provoque de la déférence et à l'égard des autorités identifiées. D'une autre manière, la polarité de l'attaque domine le sous-type sexuel, et pousse ce sous-type à attaquer sa propre crainte et à voir les autorités comme un obstacle à la liberté.

À ce point, il peut être utile de nous demander pourquoi nous préférons plus un instinct que l'autre. Il est probable, dans la phase suivant la naissance, alors que les instincts étaient encore libres, que la génétique ait pu être un facteur décisif. Un tel déséquilibre est probablement normal, et peut être comparé à l'inclination à devenir droitier ou gaucher. Par conséquent nos difficultés existentielles peuvent ne pas être dues à la prédominance d'un instinct sur les autres.

Sous-types et rapports de couples

Une dimension qui m'a toujours fasciné est l'influence des sous-types sur les rapports de couples. Comparant des tas d'histoires au sujet des débuts, de l'évolution, et de la fin des liaisons amoureuses, il semble que l'affinité des sous-types soit un facteur décisif dans le succès ou l'échec d'une relation.

Les couples qui partagent le même sous-type vont généralement mieux que des couples de sous-types différents. Les gens qui partagent une vision instinctive commune de la vie ont une voie de communication plus directe.

Il y avait une fréquence plus élevée de discordance dans les couples où un partenaire était de sous-type sexuel et l'autre de sous-type de conservation. Étonnamment, l'ennéatype des individus a semblé jouer un rôle comparativement moins important dans leurs rapports.

Par exemple, dans un couple, il était 8 et elle était 1. Imaginez la discorde radicale entre ces partenaires… Leurs styles de vie étaient tellement différents que leurs amis et parents les ont appelés le diable et l'eau bénite. Néanmoins, ils ont vécu ensemble pendant des années, 44 ans, et quand elle fut en phase terminale d'une maladie, il est resté près d'elle jusqu'au bout. Ils étaient tous les deux de sous-type de conservation. Chacun pensait que son partenaire était le meilleur allié possible contre les dangers extérieurs. Les difficultés de la vie (pauvreté, maladie et la mort tragique d'une fille) les ont fait agir comme des soldats qui se couvrent mutuellement.

Dans un autre couple, elle était un 9 sexuel hyperactif et il était un conservation. Ils ont été fiancés longtemps, et ceux qui les connaissaient étaient convaincus que leur union serait une union heureuse. Malheureusement leur mariage a fini plutôt rapidement, bien que ni l'un ni l'autre n'ait eu de rapport extraconjugal. La racine de la controverse était son sentiment d'être menacé par une épouse très active. L'aspect tragicomique de cette situation était qu'elle, en tant que bon 9, voulait être hyperactive pour faire plaisir à son mari. Cependant, j'ai connu beaucoup d'autres rapports entre des 6 et des 9 de même sous-type qui ont duré et ont été satisfaisants.

Ces réflexions résultent de mon expérience limitée et je vous invite à faire des commentaires et à réagir avec vos expériences de ces sujets.