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Le sentiment d'envie en "qualité expérimentale"


Tir Na Nog

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Après avoir longuement butiné dans le forum, et commencé par des contributions en réaction à des sujets, je voulais partager une situation vécue il y a de nombreuses années qui me paraît exemplaire de la passion d'envie du 4. J'en aurais des tripotées, surtout depuis le stage Éveil où la prise de conscience des transes égotiques m'en fournit des brassées, mais ici, le hasard avait mis en place un dispositif quasi "de laboratoire" pour révéler à leur état pur les filtres de l'ego.

 

Durant mes études à Bruxelles, je me rendais chaque semaine dans une Académie des Beaux-Arts pour un cours de "modèle vivant", c'est à dire de dessin avec des modèles nus. Depuis l'enfance, je dessinais des BD et remplissais le rôle traditionnel de "la personne qui sait bien dessiner" dans la classe (il faut dire que je passais mes cours à dessiner au lieu de prendre mes notes). Et de fait, j'avais bien vite retrouvé cette place dans notre petit groupe d'adultes composé de 7 ou 8 personnes : mes réalisations étaient toujours saluées par des oh et des ah de mes condisciples (et plus discrètement par les compliments des deux professeurs). Cette situation ne créait pas de contentement chez moi, même si j'étais très sensible à ces compliments : en fait ils avivaient le sentiment du manque.

 

Nous travaillions sur plusieurs séances, et les travaux restaient en place sur les chevalets toute la semaine pour que nous puissions les continuer sans changer l'angle de vue, et permettre le séchage. En cours d'année, un nouvel élève fit son apparition, et un coup d'œil inquiet sur ses productions m'avait indiqué que sa maîtrise technique dépassait d'assez loin celle de mes condisciples dont l'admiration me paraissait liée à leur propre noviciat. Au cours suivant, un tableau monumental saisit ma vue quand j'entrais dans la salle, je pris une claque et sentis une éponge glacée se tordre dans mon estomac, avec des bribes de pensées de type "sic transit gloria mundi", "il est venu, le calife à la place du calife" flottant parmi les débris du Titanic : accablée, mortifiée par la supériorité évidente, la force tellement patente de son travail comparé à mes pathétiques œuvrettes, je tournais autour le regard fuyant comme un malandrin, craignant qu'on me surprenne en pleine déconfiture.

 

Sonnée, je tentais de surmonter le choc et me mis à tituber à la recherche de ma propre production (pour aller me ratatiner piteusement derrière jusqu'à la fin de la séance, sans doute). Je parcourais les chevalets, et il me fallut assez peu de temps, mais la seconde de la réalisation fut une trèèèèèèès longue chute pour me rendre à l'évidence et vivre un changement de paradigme assommant : c'était mon propre dessin que j'avais pris pour objet d'envie.

 

Le plus drôle (et le plus consternant simultanément), fut que le voile redescendit immédiatement sur mes yeux soi-disant décillés : dès lors que je me l'attribuais, le tableau se dépouilla de ses charmes tantôt si formidables à la vitesse où le carrosse de Cendrillon redevient Citrouille, en dix secondes à peine il était à nouveau terne et décevant.

Tir Na Nog – 4, aile 3, CSX++/--

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Fabien Chabreuil

Bonjour à tous,

 

Merci Tir Na Nog pour ce superbe exemple. Je suis certain que beaucoup d'autre 4 en le lisant vont être dans l'envie ! :rofl:

 

"Cette situation ne créait pas de contentement chez moi, même si j'étais très sensible à ces compliments : en fait ils avivaient le sentiment du manque."

Te serait-il possible de détailler un peu ce point ?

 

Très amicalement,

Fabien

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"Cette situation ne créait pas de contentement chez moi, même si j'étais très sensible à ces compliments : en fait ils avivaient le sentiment du manque."

Te serait-il possible de détailler un peu ce point ?

À la base, je pense que ce mécanisme de réaction aux compliments sur mes "points forts" est lié au caractère lancinant et inextinguible du sentiment de manque : c'est le sentiment du manque  qui relie  l'envie ("et s'ils l'avaient?") et la recherche d'exceptionnalité ("et si j'avais un "truc" tellement fantastique qu'il comblerait ce manque ?"). Les "points forts" et les compliments sont dangereux car ils soufflent de l'oxygène sur la flamme : ils font miroiter qu'un "truc" pourrait s'y tapir, mais l'espoir qui me rend particulièrement sensible à ces compliments est simultanément teinté du désespoir que le "truc" soit faux, insuffisant, exactement de la façon dont les mots me paraissent toujours glisser à côté du noyau essentiel…

Tir Na Nog – 4, aile 3, CSX++/--

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