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Le goût des silences


Yves

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Bonjour à tous,
 

J'ai reçu, il y a quelques jours, une invitation pour un concert d'un copain pianiste introverti qui, je pense, est 5. Dans l'invitation, il cite le philosophe taoïste Tchouang-Tseu qui disait que « le plus beau cadeau que l’on puisse faire à la parole est de se taire », ce à quoi il ajoute : « Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à la musique est de l’abreuver de silences… »

Une jolie façon de rationaliser l'avarice ?

 

Merci Rosso pour cette anecdote. Passionné de mots et de musique, avec un faible pour le piano, et passionné aussi d’avarice, hélas (c’est la passion du 5), ce sujet m’inspire. :happy:

Après avoir lu le premier aphorisme, j’entrevis mon ego avare qui se laissait séduire par cette citation ; celui-ci se sentit alors humilié par cette caricature de lui-même. Avec une pointe d’agacement, je reconnus aussi dans cet aphorisme cette impression de manque de clarté que peuvent donner des 5, moi-même par exemple, reflet du manque de clarté de mes ressentis. Mes propos parfois elliptiques, mon ego avare en tire même de la fierté (heureusement il y a le stage Libération). Avec son sentiment de supériorité intellectuelle, il masque ainsi à lui-même son sentiment d’insécurité. J’imagine qu’écrire des invitations pourrait s’avérer pour moi une source d’insécurité — même des invitations à des copains, et c’est un peu triste. Il s’agit d’une peur égotique. Mais je ne sais pas si c’est le cas de ton copain, Rosso. Lorsque je vis l’essence du 5, je surmonte aisément cette peur égotique.

Par contre, après avoir lu le second aphorisme, je me suis senti enthousiaste. J’avais envie d’intervenir. Mes centres de support et préféré étaient d’accord pour activer mon centre réprimé.

Avant de répondre à ta question, Rosso, je pose celle de l’usage de silences par des 5, dans les deux langages, la parole et la musique : pourquoi les utilisent-ils ? Quelles sont leurs motivations ?

D’abord la parole. Je suis très introverti. Concernant l’usage de silences dans mon discours verbal, deux cas sont possibles. Dans le premier, de loin le moins fréquent, je vis la contrepassion du 5, je me soucie alors peu d’être compris, voire même d’être écouté, d’être connecté aux autres. Mon discours suit mes pensées et emporté par leur flot, je ne cherche pas à y insérer des silences. Dans le second cas, j’ai besoin d’être compris — ne pas être compris serait comme ne plus exister dans le monde extérieur — et je parsème mon discours de silences. Ils me permettent de vérifier que je suis compris et que mon interlocuteur est capable de me comprendre : si tel n’était pas le cas, alors je pourrais me taire. C’est arrivé, hélas. Ou bien mes silences me permettent de souligner un point essentiel et de vérifier l’effet de mes paroles, ou bien encore d’éveiller la curiosité de mon interlocuteur par du suspense. Dans mon cas, ce sont aussi des silences égotiques. Enfin mes silences me permettent aussi de choisir ce que je vais dire avant de parler, j’attache alors davantage d’attention à l’expression qu’à la relation avec mes interlocuteurs. Ces silences ont une facette égotique aussi.

J’aime communiquer avec des personnes qui émaillent leurs propos de silences, afin de laisser résonner leurs paroles en moi. Ils donnent du relief à leurs paroles, une aura. Précieuses paroles. Ce goût a également une facette égotique.

Mais pas seulement : il m’arrive de me sentir touché, émerveillé ou attendri par mon interlocuteur et c’est souvent pendant un silence qui suit ses paroles. Ce silence a dégagé un espace de clarté, mon sentiment d’être envahi — le fameux épouvantail du 5 — s’y est dissous, j’ai pu accéder à mon émotion, être présent.

Lorsque les autres se taisent, il m’arrive souvent de me détacher et de me taire aussi. Je ne me sens pas triste, car je me suis coupé de mes émotions. La parole est liée aux émotions et ce silence-là n’est pas un cadeau à la parole, au contraire. Depuis que je connais l’Ennéagramme, lorsque je me trouve en compagnie d’un 5 qui se tait, souvent je me sens triste.

Parmi les personnes que j’aime, il y a aussi des êtres volubiles. Porté par leur passion, j’aime les écouter parler sans s’arrêter, excepté toutefois quand ils oublient de respirer : là j’ai l’impression d’étouffer moi-même, réminiscence effrayante de mon enfance.

Et maintenant, au tour du second aphorisme. Je le préfère au premier. Je le trouve moins équivoque.

Un piano ne permet pas de legato comme un violon ou une voix, hélas. Les marteaux donnent des coups abrupts sur les cordes. Je me sens émerveillé par le legato de Chopin, par la fluidité de Debussy. Ton copain, Rosso, a utilisé le verbe « abreuver ». Abreuver : l’eau fluidifie, met du liant. « Il faut lier par l’oreille » me confia un jour ma professeure. Elle voulait dire « par l’écoute ».

Un silence ne permet pas le legato. Mais il n’est pas vide. Il n’est pas le vide intérieur, autre épouvantail du 5. En tant que 5, pas facile d’accéder à mes ressentis, hélas. J’ai besoin de certitude. J’ai besoin d’un espace de clarté. Heureusement un silence me donne cet espace. Il me permet, avant de choisir le prochain son, de savourer le son précédent, ou plutôt son retentissement dans mon corps. Pendant un silence, j’écoute, j’inspire, comme un chanteur, et souvent naît dans mon corps une énergie, un émerveillement, une gratitude. Je choisis alors un son assorti à mon état intérieur ainsi qu’à l’intention du compositeur, extérieure, sans oublier l’état du clavier. Telle une intuition, ce choix m’apparaît comme une certitude. Je l’exprime avec mes doigts dans la phrase suivante. En résumé, comme parfois certains silences dans la parole, ce silence a facilité mon accès au centre intuitif du 5.

Sans le silence de la nuit, les étoiles seraient-elles aussi belles ? Sans le silence, trouverais-je une parole ou une musique pour l’exprimer ?

Pour conclure, j’apprécie des silences dans la parole pour un mélange de motivations égotiques et pas égotiques. Par contre, dans mon goût des silences dans la musique, pour l’instant, je n’ai pas trouvé de motivation égotique.

J’en viens maintenant à ta question, Rosso. Rationaliser l’avarice, oui, cela m’est arrivé de temps en temps. Qu’un 5 se serve de l’aphorisme de Tchouang-Tseu pour rationaliser l’avarice, oui, je suppose que cela pourrait arriver de temps en temps. Confiance : un être humain ne se réduit pas à son ego. Voici maintenant un silence.

Avec ma silencieuse amitié,
Yves

Yves (E5 alpha, ailes 4 et 6, C- S= X-/+)
"Attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction." (Jean Rostand)

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Fabien Chabreuil

Bonjour à tous,

 

Merci, Yves, pour ce témoignage.

 

Le thème du silence est fort complexe. Il fait interagir en nous au moins quatre composantes :

  1. L'ennéatype : certains profils sont très généralement plus taiseux que d'autres ;
  2. Le sous-type : il est vraisemblable que les instincts social et sexuel ont une relation différente au silence de celle de l'instinct de conservation ;
  3. L'attitude au sens du MBTI : il me semble que les personnes à dominante introvertie doivent être statistiquement plus silencieuses que celles à dominante extravertie ;
  4. Le positionnement sur la spirale dynamique : dans un contexte donné, plus le poids des vMèmes d'expression du soi de la première boucle est fort par rapport à ceux de sacrifice du soi, plus le silence est difficile à supporter.

À cela s'ajoute bien sûr l'influence du milieu éducatif familial et scolaire.

 

"Sans le silence de la nuit, les étoiles seraient-elles aussi belles ?"

Pour moi, indiscutablement non. Je me souviens d'un voyage dans la jungle de l'Amazonie équatorienne où j'ai vu le plus beau ciel étoilé de ma vie — jusqu'à ce jour, restons optimiste. Pas très loin de moi, j'ai entendu d'autres voyageurs exprimer à haute voix leur admiration. C'était insupportable. Heureusement l'éco-lodge n'avait que très peu de cabanes, et il m'a suffi de m'éloigner un peu pour retrouver le calme et abandonner mes envies de meurtres.

 

Ceci dit, ce n'était pas si silencieux que cela : les animaux tenaient un délicieux concert nocturne. En fait, je distingue deux sortes de silence : l'absence de sons en général et l'absence de bruit lié aux activités humaines. Le second suffit à mon bonheur.

 

Très amicalement,

Fabien

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Bonjour à tous,

En lisant ton message, Fabien, je me suis souvenu d’un soir, en Amazonie, sur une barque, en silence. Des fruits, m’évoquant ceux des tilleuls, se laissaient tomber sur la surface de l’eau calme, des aras se tenaient dans les arbres. Je me sens souvent émerveillé par les oiseaux, j’en rêve parfois la nuit. Ce matin au réveil, j’ai songé au poème « Les hiboux » du recueil Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. J’aime ce poème. En le lisant, je suis sensible au mystère de la présence et aussi à sa façon d’exprimer le vMème VIOLET-sécurité de la spirale dynamique.

Je me dis qu'il plaît peut-être à d'autres 5, à des 9 et à des personnes préférant diriger leurs centres vers l'intérieur. Le voici.

 

Sous les ifs noirs qui les abritent,
Les hiboux se tiennent rangés,
Ainsi que des dieux étrangers,
Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

Sans remuer ils se tiendront
Jusqu’à l’heure mélancolique
Où, poussant le soleil oblique,
Les ténèbres s’établiront.

Leur attitude au sage enseigne
Qu’il faut en ce monde qu’il craigne
Le tumulte et le mouvement,

L’homme ivre d’une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D’avoir voulu changer de place.

 

Chut,
Yves

Yves (E5 alpha, ailes 4 et 6, C- S= X-/+)
"Attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction." (Jean Rostand)

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Bonjour,

Merci pour ton témoignage, Yves.

Après avoir écrit mon message, je me suis dit que les deux phrases citées (« le plus beau cadeau que l’on puisse faire à la parole est de se taire », ce à quoi il ajoute « Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à la musique est de l’abreuver de silences… ») pouvaient aussi être une ode à l'introversion… ou comme tu l'exprimes aussi, un accès à l'essence ou un mélange de tout ça… Qui sait.

 

Le silence dans une conversation peut me ravir, comme me gêner. Je ne suis pas une grande bavarde. Si je me sens en confiance et bien avec la ou les personnes, le silence me convient ; je peux être très à l'écoute. Si je ressens le silence comme un risque de déviance alors je le comble en trouvant quelque chose à dire adapté à la conversation et aux personnes présentes (humour, anecdote, etc.).

J'apprécie le silence dans la nature, chez moi quand je suis seule… sauf si je me sens en insécurité et que ma false core se fait trop sentir. Alors je cherche une présence, j'allume la radio par exemple.

 

Ayant une aile 5, je connais aussi l'avarice, et il m'arrive de la rationaliser ("Non, je ne vais pas donner ces infos car ils risquent de ne pas comprendre")…

Belle journée enneigée,
Rosso

Rosso - E6 alpha, C++ S-/+ X-/+, Aile 5

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Fabien Chabreuil

Bonjour à tous,

 

"Qui sait."

Eh oui, vu de l'extérieur, il est souvent difficile d'interpréter le vécu d'une personne, d'où la difficulté du typage sans contact direct avec l'autre.

 

"Si je me sens en confiance et bien avec la ou les personnes, le silence me convient ; je peux être très à l'écoute. Si je ressens le silence comme un risque de déviance, alors je le comble en trouvant quelque chose à dire adapté à la conversation et aux personnes présentes (humour, anecdote, etc.)."

Ce n'est pas du vrai silence, cela. Ta phrase, Rosso, implique que tu te taises mais que les autres sont en train de parler. Il me simple qu'il y a une nette différence entre son ressenti face à cette situation et le ressenti face à un moment où des personnes sont ensemble et toutes se taisent.

 

En tout cas, en ce qui concernait la spirale dynamique, mon dernier message faisait allusion à cette seconde situation.

 

"Belle journée enneigée."

Il fait soleil à Paris ! Très froid, mais soleil.

 

Très amicalement,

Fabien

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