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L'envie et la déformation du désir
Courtney A. Behm (Traduction par Alexandra Jacquemart)

Envie (n. f.) - Sentiment de mécontentement, de ressentiment ou de convoitise à propos des avantages, des succès ou des possessions d'autrui. Désir intense de posséder quelque chose que quelqu'un d'autre a reçu ou réussi.
Dictionnaire intégral Webster

Un des douteux bénéfices d'être un 4 est que je sais ce qu'est l'envie. J'en connais le goût, l'odeur, la taille, le poids, les sensations physiques, le coût émotionnel et les implications spirituelles. Dans mon ordinateur personnel, l'envie est un virus. Elle a creusé une faiblesse dans mon caractère qui est à la fois d'une évidence flagrante et d'une subtilité infinie. De temps en temps, l'envie produit des réponses physiques et émotionnelles puissantes, mais parfois elle se cache dans l'obscurité de mon psychisme et orchestre les décisions que je crois prendre par moi-même. Douze ans d'études de l'Ennéagramme m'ont permis de faire des progrès considérables dans l'identification et le dépassement de mes réponses automatiques. Je peux apprécier ce que j'ai et être honnêtement contente des succès des autres. Mais le plus souvent, j'agis ainsi par décision consciente. Dans le domaine de l'envie, je suis comme une alcoolique qui peut rester sobre, mais qui gardera toujours une certaine tentation pour l'ancienne habitude. C'est un effort de chaque jour et dans chaque interaction personnelle.

"L'envie, c'est l'art de compter les bénédictions des autres au lieu des nôtres"
Harold Coffin

Les expressions manifestes de l'envie sont les plus faciles à repousser. Leurs manières grossières et bruyantes déclenchent toutes mes sonneries d'alarme internes. J'ai des amis qui ont bénéficié récemment des largesses financières de la Nouvelle Économie. Ils étaient ravis de cette bonne fortune inattendue. Ils se demandaient quelle part de leur gain ils devaient donner aux bonnes œuvres. Ils ont acheté de nouvelles maisons et des voiliers. Ils ont pris soin de leurs parents vieillissants. Ils sont allés faire des photos en Nouvelle-Zélande. Ils ont bâti des plans pour prendre une retraite anticipée. Comme ils sont généreux et ont des valeurs élevées, ils n'ont jamais été superficiels, ni arrogants, mais ils sont riches, d'une manière assez évidente. Et je ne l'étais pas. Je ne pouvais pas discuter de portefeuille boursier, ni faire des plans pour ma retraite. J'ai fait des choix différents et j'étais juste en train de démarrer une entreprise personnelle, alors qu'ils glanaient les récompenses d'années dédiées à une seule voie. Je leur enviais leur richesse, leur liberté par rapport aux soucis financiers et leur capacité à donner aux autres.

Mais parce que je suis une droguée de l'envie, ce n'était pas suffisant de seulement vouloir ce qu'ils avaient. Je les enviais tellement que ça me faisait mal. Et je me sentais profondément nulle. C'était comme si je disparaissais doucement, comme si je devenais grise pendant qu'ils restaient en couleurs. Je ne pouvais pas me rappeler mes propres dons et talents ; je commençais à croire qu'ils m'accueillaient par tolérance parce qu'ils étaient gentils, mais que je n'étais pas réellement la bienvenue. Heureusement, il y avait une partie de moi suffisamment consciente qui savait que tout ceci n'était que foutaises. Je me suis souvenu de respirer, de me connecter à mon corps et de dresser la liste de tout ce qui était positif dans ma vie. J'ai répété mon mantra, encore et encore : "Ces gens sont tes amis. Ils t'aiment. Tu les aimes. Tu es contente de leur bonne fortune. Tu es heureuse d'une manière différente. Tu ne voudrais pas être quelqu'un d'autre que toi." Et j'ai souri chaudement, je me suis assise calmement sur mon siège, j'ai ouvert mon cœur et je suis resté reliée à ces gens qui étaient importants pour moi pour tellement de raisons. Mais il y a eu des nuits où je rentrais chez moi épuisée par cet effort.

Envie (n. f.) : Émulation des médiocres.
Félicitations (n. f.) : Politesse de l'envie.
Ambrose Bierce, Le dictionnaire du Diable

Aussi désagréable que ce soit d'être assaillie brutalement par votre passion, au moins vous pouvez la voir venir et choisir votre réponse. Il m'a été autrement plus difficile de neutraliser l'impact de l'envie quand elle est plus modérée, plus insidieuse. J'ai récemment étudié une pratique spirituelle que des amis et collègues avaient adoptée et dont ils tiraient de grandes satisfactions et de grands bénéfices. Mais lorsque j'ai commencé à m'y impliquer, j'ai constaté, à ma grande tristesse, que j'étais mal à l'aise et insatisfaite. Cela m'a pris du temps pour démêler la confusion des émotions qui surgissaient. "Ça doit être moi. Ça doit être eux. Pourquoi ai-je de la peine quand d'autres trouvent ça satisfaisant ? Est-ce que cette difficulté serait un signe que j'ai besoin de travailler plus dans cette direction ? Je ne veux pas être perçue comme quelqu'un qui laisse tomber, mais je veux en sortir !" Cela m'a pris des mois pour être capable de dire : "Je ne veux pas faire ça. Ce n'est pas le bon chemin pour moi." Mon ami Paul m'a suggéré que peut-être mon désir initial de m'impliquer dans cette voie venait de l'envie, de ma convoitise de la satisfaction spirituelle que d'autres personnes expérimentaient, plutôt que d'un désir sincère de participer. Eh bien, Courtney Ann… grosse surprise ! Pendant tout ce temps, je n'avais pas pu en prendre conscience. Ce n'était simplement pas assez évident.

Je soupçonne avoir ce genre de réaction bien plus souvent que ce qui est acceptable. L'envie m'a beaucoup appris sur le désir. Je peux identifier et convoiter les choses que les personnes ont et qui les rendent heureux. Je peux fantasmer sur la vie merveilleuse que j'aurais si seulement elles étaient à moi. Maintenant, en portant attention au problème, je peux gérer cette réaction, me souvenir de ce que j'ai actuellement et redescendre dans la réalité et dans la gratitude que j'éprouve de mes nombreux talents. Mais l'attention m'a aussi aidée à réaliser que malgré tout ce que j'ai compris et tous les progrès que j'ai faits, j'ai une capacité limitée à avoir un désir clair et en conséquence, j'ai des difficultés à savoir ce que je veux. Pour être précise, je ne suis pas sûre de savoir COMMENT vouloir.

Le plus précieux, nous devons l'avoir. Nous le voulons, nous le voulons, nous le voulons !
Gollum, dans Le Seigneur des Anneaux de Tolkien.

Bien que le désir soit souvent défini comme de la convoitise et que certainement la convoitise soit une forme de désir, je crois qu'il y a une profonde différence entre les deux. Le Webster dit que la convoitise consiste à souhaiter intensément quelque chose qui est momentanément hors de portée, alors que le désir est un sentiment fort qui nous pousse à atteindre quelque chose qui semble accessible. Donc si l'objet du désir est potentiellement atteignable et l'objet de la convoitise hors de portée, alors la convoitise porte en elle les germes de l'insatisfaction alors que le désir nous offre au moins une chance de contentement.

De plus, le désir peut être doux et même innocent. Nous pouvons désirer quelque chose hors de tout intérêt ou de toute curiosité. Nous pouvons désirer quelque chose hors de tout caprice ou de toute mode. Nous désirons pour satisfaire de simples besoins physiques comme la faim ou la soif. Le désir peut nous faire progresser. Si je désire être une meilleure personne, alors je fais ce que je peux pour y arriver. Mais si je meurs d'envie d'être une meilleure personne ou que j'envie les progrès d'un autre, je me sens faible, vide, impuissante et sans espoir. Dans l'instant de convoitise, j'ai placé mon objectif hors de portée. Et parce que cet objectif est hors de portée, j'en ai besoin pour remplir le vide de mon âme et je perds l'équilibre dans une tentative désespérée de l'attraper et de le faire mien.

Mon plus grand défi en termes de développement personnel a été de passer de l'avidité à l'équanimité et d'atteindre une stabilité flexible qui n'est pas facilement rompue ; je trouve de plus en plus facile de maintenir mon équilibre en face d'une provocation significative. Avec gratitude et un brin d'amusement, j'accepte que les gens pensent de moi que je suis stable (Dieu me garde !) et objective. Mais même si je peux m'en sortir dans des situations pénibles, je trouve toujours difficile de définir une direction ou d'énoncer un désir. Dès que je commence à vouloir quelque chose, je commence à osciller comme un funambule inexpérimenté et je dois donc m'arrêter jusqu'à ce que je retrouve mon équilibre durement gagné. C'est une énigme que je n'ai pas encore décodée. Je sais que pour créer une vie riche et satisfaisante, je dois être capable de définir une vision génératrice de possibilités et d'accomplissement et de m'y tenir. Mais parce que l'envie s'attache à mon désir et que les rêves et les visions sont des manifestations du désir, je me sens obligée d'aller doucement, de mesurer mes mots et mes actions pour rester en sécurité sur mon fil personnel là-haut. Et alors peut-être que l'occasion se présentera. Ou la décision ne pourra être prise. Ou le rêve restera sans espoir.

Je pense que, d'une manière ou d'une autre, nous luttons tous avec ce dilemme. L'envie est mon démon personnel mais c'est un démon volage… Il couche avec n'importe qui. La structure interpersonnelle de notre espèce est étroitement liée à l'envie, depuis des formes relativement bénignes jusqu'à d'autres pleines de haine virulente. À travers les âges, la littérature a souligné la difficulté de se réjouir pleinement du succès d'autrui sans vivre la douleur de le vouloir pour soi-même. Bouddha a dit que "celui qui envie les autres ne trouve pas la paix de l'esprit". La Bible nous dit que l'envie raccourcit la vie. Dans le Dhammapada, nous lisons que si les racines de l'envie ne sont pas complètement éradiquées, la tristesse reviendra encore et toujours. Et pendant que nous portons tant d'attention à ce qu'ont les autres, il se peut que nous perdions de vue les désirs de notre cœur.

L'acheteuse-spectatrice est censée s'envier elle-même de ce qu'elle deviendra si elle achète le produit. Elle est censée s'imaginer transformée par le produit en un objet d'envie pour les autres, une envie qui justifiera alors le fait qu'elle s'aime.
John Berger

Une société de consommation s'épanouit sur l'envie, en dépend, nous y incite. L'envie anime le produit. La publicité est conçue pour créer une profonde insatisfaction de ce que nous avons et pour nous pousser à acheter ce qui semble rendre la vie des autres plus riche, plus heureuse, plus facile, plus remplie que la nôtre. Nous restons ainsi dans notre classe sociale et sommes donc perçus comme des gens y ayant leur place et faisant partie de ceux qui savent ce qui est bon et ont les moyens de le rapporter à la maison. Nous remplissons nos armoires et nos placards et nos garages parce que l'acte d'acheter nous fait nous sentir mieux à propos de nous-mêmes. Une nouvelle voiture va certainement nous apporter un compagnon attirant, une vie pleine de sexe et une foule d'amis joyeux et admiratifs. Nous voulons être le premier gamin de l'immeuble à posséder l'anneau décodeur magique. Nous voulons être cool. Au moment de l'achat, nous nous voyons comme nous aimerions être vus : en pleine réussite, riche, beau, puissant, éternellement jeune, digne d'amour. Mais si nous ne possédons pas cet objet, nous sommes des laissés pour compte, nous ne participons pas, indubitablement nous ne sommes PAS cool.

L'ennui, c'est que dès que nous avons déballé la boîte et retiré le papier, on nous propose le tout dernier modèle suivant, la chose la plus tendance du moment. Alors la joie de notre récente acquisition commence à s'affaiblir un peu. Nous avons le nouvel appareil photo dans nos mains, il prend des photos fabuleuses, mais maintenant, le tout nouveau a deux fois plus de mégapixels pour la moitié du prix et nous ne nous sentons plus aussi chics, ni aussi calés, ni faisant partie de l'élite. Et peut-être que nous sortons de notre transe pendant un moment pour nous demander pourquoi il était si important d'avoir cette chose précise à ce moment précis et de qui venait vraiment l'idée de son acquisition. En publicité et en marketing, on dit que les gens satisfaits de ce qu'ils ont et d'avec qui ils sont font des consommateurs nuls. Ils sont l'enfer des segments de marché. Les meilleurs consommateurs sont soit guidés par leur dépendance à l'achat, soit prisonniers d'un cycle sans fin d'envie.

Le glamour ne peut pas exister si l'envie sociale personnelle n'est pas une émotion commune et largement répandue.
John Berger

Je crois que l'énergie produite par des émotions puissantes a un impact sur une large communauté. Je me sens tranquille et en paix en présence de gens expérimentés en méditation et je suis tourmentée en présence de la haine et de la colère. Donc cette dynamique me perturbe de manière significative. Ma relation intime avec l'envie m'a montré qu'il ne fallait pas la traiter à la légère. Manipuler l'envie d'une population pour vendre des produits, c'est comme jouer à la balle avec une mine qui n'a pas explosé. L'envie interdit la satisfaction. Elle crée une énergie qui bloque activement notre accomplissement. Comment cette amplification par la société de l'envie affecte-t-elle notre capacité individuelle à être satisfait ? Je soupçonne que nous entendons la réponse à cette question depuis longtemps et pas seulement ici aux États-Unis. Nous sommes maintenant une communauté mondiale ; l'ubiquité de la télévision et du cinéma a permis au monde de voir la manière de vivre des Américains, bien que l'information soit reçue et interprétée d'une manière qu'en tant que société, nous avons été incapables d'anticiper. Il y a aux États-Unis une masse de gens généreux qui apprécient la valeur de l'amitié, de la famille, du travail dur, de la gentillesse, du dévouement spirituel, mais nos citoyens les plus visibles sont ceux que nos medias exportent : incroyablement minces, incroyablement riches, pleins de désir sexuels, excessivement violents et obsessionnellement propres. Dans des pays n'ayant pas nos moyens matériels, accablés par la guerre, la pauvreté ou la maladie, dans des cultures dont les valeurs divergent fortement de celles qu'ils voient jouées dans nos médias, nous ne nous présentons pas sous notre meilleur jour. Et parce que les messages sont si soigneusement fabriqués pour créer l'envie, ils la créent vraiment, mais avec des résultats imprévisibles.

La haine est active et l'envie est une aversion passive. Il n'y a qu'un pas entre l'envie et la haine.
Goethe

Nos contes de fées, nos mythes et enseignements religieux sont emplis d'histoires où l'envie se transforme en haine. Dans la Bible, Joseph inspire tant d'envie avec son manteau coloré que ses frères complotent sa mort. Dans Blanche-Neige et les sept nains, la méchante reine est mue par l'envie de la beauté de Blanche-Neige jusqu'à vouloir la détruire : "Dès qu'elle regardait Blanche-Neige, son cœur se soulevait dans sa poitrine, elle détestait tellement cette fille. Et l'envie a grandi de plus en plus dans son cœur comme une mauvaise herbe, jusqu'à ce qu'elle ne connût plus la paix de jour comme de nuit." La Reine essaye trois fois de tuer Blanche-Neige, sans succès. Finalement, elle fait un vœu : "Blanche-Neige doit mourir, même si ça doit me coûter la vie !" Et lorsqu'elle croit que Blanche-Neige est bien empoisonnée par la pomme, "son cœur envieux se reposa, autant qu'un cœur envieux puisse se reposer."

Ceci seul peut me satisfaire, mes moyens peuvent mentir.
Trop faibles pour l'envie, trop élevés pour le mépris.

Abraham Crowley

Après le 11 septembre, beaucoup de gens, ici, aux États-Unis se sont demandés : "Pourquoi nous détestent-ils ?" Nous sommes habituellement les premiers à offrir de l'aide dès qu'il y a un désastre quelque part. Nous accueillons sans compter les nouveaux arrivants du monde entier et nous leur donnons l'occasion de vivre une nouvelle vie. Nous avons clairement affirmé, bien qu'elles n'aient pas toujours été observées, des valeurs de démocratie, d'équité, de liberté et de justice. C'est difficile de faire le lien entre cette réalité et "le Grand Satan", mais en fait, trop de personnes dans le monde voient les États-Unis sous un jour peu flatteur. Bien que je ne veuille pas proposer une réponse simple à un problème si compliqué, je crois que l'envie est un des nombreux facteurs qui contribuent à la prédominance des intentions anti-américaines. Dans notre culture 3, il est difficile de comprendre que les signes visibles du succès ne nous apportent pas toujours de l'amour. Alors nous travaillons plus dur et nous montrons plus de signes visibles de succès et sommes déconcertés d'être souvent encore plus détestés.

Nous pouvons tous lutter contre l'envie, qu'elle émane de nous ou de la société. Il existe des antidotes. L'humilité. La conscience de soi. La compassion. La gratitude. L'humour. Les bonnes manières. L'équanimité. Le contentement. La discrétion. Notre défi est de découvrir en nous ces qualités et de leur permettre de se manifester dans le monde ; il est d'apprendre la vraie nature de nos désirs et d'agir sur eux dans notre meilleur intérêt et dans celui des autres. Plus je continue d'apprendre qui je suis et quelle est ma place dans ce monde, plus je trouve facile de faire confiance à ma voix intérieure pour parler haut et fort pour moi et plus je crois que je saurai un jour exprimer mon désir sans effort et avec autant de satisfaction qu'on a à étancher sa soif un jour de canicule.

Qui est pauvre ? Celui qui n'est pas contenté.
Comment le Paradis est-il atteint ? On atteint le paradis en se libérant de la convoitise.
Qu'est-ce qui détruit la convoitise ? Réaliser son Soi véritable.

Shankara