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Quand les types se heurtent
L'Ennéagramme au service de la vie de couple
Tracy Colina (Traduction par Sandrine Beky)

Si jamais vous avez déjà vu l'émission télévisée Quand les Animaux attaquent, vous disposez d'une bonne métaphore de comment le manque de compréhension de la motivation et de la perception de l'autre peut faire des ravages. Une des émissions montrait des éléphants attaquant des êtres humains et qui, selon les mots mêmes du commentateur, "étaient déchaînés". En y regardant de plus près, il était évident que ces éléphants avaient été agressés et provoqués à plusieurs reprises par l'homme, si bien que leur comportement apparemment aberrant faisait sens. Ils avaient fini par en avoir marre et comme tout 9 sensible, type dont l'éléphant semble le plus proche, ils avaient riposté avec une furie jusqu'ici refoulée, ce qui était compréhensible. Nous autres humains avons tendance à agir de même avec nos semblables, les cataloguant de fous furieux ou de dingues quand nous ne comprenant pas le contexte de leur expérience. Comprendre l'Ennéagramme peut nous aider à éviter ces jugements et autres étiquettes.

Dans le même esprit, Monty Roberts, auteur de L'homme qui sait parler aux chevaux (Éditions Albin Michel) a passé une bonne partie de sa jeunesse à étudier les chevaux sauvages du Nevada. Grâce à une observation fine, il a appris que la race chevaline avait son propre langage, ignoré jusqu'alors par les hommes avec lesquels elle communiquait. Ce langage qui consiste en postures physiques, ébrouements et contact visuel, a permis à Monty de communiquer avec les chevaux et d'être capable de les monter et de les apprivoiser sans aucun usage de la force. Le langage de l'Ennéagramme fournit un outil similaire utilisable dans la communication humaine. L'Ennéagramme aide chacun des neuf types à comprendre le langage et la réalité des autres types et à communiquer avec eux.

Quand les types de l'Ennéagramme entrent en conflit ou attaquent, leur comportement et leur manque de compréhension sont semblables aux malentendus que les humains ont avec les animaux. En travaillant avec des couples, il apparaît souvent que les deux personnes parlent des langages différents et viennent de réalités séparées.

Utiliser l'Ennéagramme en thérapie de couple peut être très bénéfique aussi bien pour le thérapeute que pour le couple. Il y a au moins quatre moyens de se servir de l'Ennéagramme pour aider le processus thérapeutique et ces moyens sont abordés ici. Il est bien plus facile de travailler avec des couples quand les deux partenaires sont prêts à observer leur fonctionnement et leurs propres zones d'ombre, à assumer leur part de responsabilité dans le fait que la relation soit loin d'être optimale et à comprendre la nature systémique de la relation. Ce dernier facteur est important parce que les membres du couple peuvent ainsi voir que les dynamiques qu'ils ont créées existent de façon autonome et peuvent être comprises et modifiées. Il est également vital de prendre conscience que les problèmes peuvent ne pas êtres attribués à un des partenaires, mais à la dynamique de la relation mise en place par les deux personnes. Les problèmes de nature à provoquer la rupture tel que l'infidélité, les dépendances et la violence doivent d'abord être traités, avant d'utiliser l'Ennéagramme qui est plus approprié pour améliorer la communication, la compréhension et l'intimité.

Tout d'abord, l'Ennéagramme peut aider à percevoir le comportement de l'autre dans la relation comme normal. Il est très courant en thérapie de couple de voir arriver des gens avec l'idée que l'autre a tort, est malavisé ou est "mauvais" et qu'il a besoin de changer, en général pour correspondre aux désirs de son partenaire. L'Ennéagramme aide à rompre ces schémas de pensées. Quand les gens apprennent qu'il y a huit autres façons, toutes aussi valables les unes que les autres, de percevoir, de penser, de ressentir et de se comporter, cela peut être une révélation. (Apprendre qu'il existe un autre moyen est une première étape pour certains). La compréhension du type de personnalité de l'autre peut aussi aider le partenaire à se rendre compte que le changement n'est peut-être pas nécessaire. Ce qui peut être nécessaire, c'est que le partenaire qui souhaite que l'autre change réajuste sa perception et soit plus flexible quant à ce qui ne va pas, n'est pas judicieux ou mal.

La deuxième manière dont l'Ennéagramme peut aider dans une thérapie de couple, est qu'il accroît l'empathie et réduit le blâme. Souvent le blâme survient parce qu'une personne juge l'autre dans le contexte de sa propre réalité. Quand on comprend la mentalité et l'univers parallèle de l'autre, il est impossible de blâmer.

Les différences dans le couple doivent être appréciées, célébrées et abordées plus positivement pour que la relation ne devienne pas un affrontement mortel de volontés. Ces luttes de pouvoir exacerbent négativement les différences, deviennent repoussantes et humiliantes et cherchent à produire un gagnant et un perdant. Toutes ressemblances, toutes valeurs partagées ou joies - celles qui mettent de la vie dans la relation - diminuent ou disparaissent et la relation devient unidimensionnelle, stéréotypée et vaine. Les couples n'ont alors aucune idée de ce à quoi l'autre ressemble ou pourrait ressembler. Beaucoup d'anciennes méthodes de thérapie de couple se concentraient sur le vécu et les problèmes et ne servaient qu'à s'enfermer un peu plus dans ces problèmes. Les méthodes plus modernes de thérapie de couple se concentrent sur les possibilités, les forces et les capacités.

Troisièmement, l'Ennéagramme aide les membres du couple à comprendre la dynamique créée par leurs types ou le système qui existe et est distinct des individus. Le livre d'Helen Palmer L'Ennéagramme au Travail et en Amour (Éditions de l'Homme) traite des scénarios typiques qui se créent lorsque chacun des types rencontre un autre type en amour et au travail.

Prenons un exemple. Un couple, elle 2 et lui 8, avait des difficultés relationnelles. De toute évidence, ils ne percevaient pas la réalité et ne se comportaient pas de façon semblable. Il était direct, ne mâchait pas ses mots et croyait que ce qu'il voyait de ses propres yeux et entendait de ses propres oreilles était ce qu'elle était censée être et dire. Pour sa partenaire, ses déclarations semblaient avoir un caractère irrévocable et elle croyait n'avoir que peu de pouvoir dans la relation. Elle pensait qu'elle devait séduire son partenaire pour obtenir la satisfaction de ses besoins plutôt que d'être honnête avec lui et de lui montrer qui elle était vraiment - une personne avec des besoins émotionnels ; sinon il allait la rejeter.

Ces deux réalités opposées avaient engendré des problèmes monumentaux qui ont culminé par une séparation temporaire quand la 2 a cru qu'elle avait dit au 8 qu'elle voulait qu'il s'engage fermement dans la relation. Cette demande d'engagement avait été communiquée de façon indirecte et sans beaucoup de conviction.

Comme l'engagement n'eut pas lieu, la 2 a informé le 8 de sa déception et le 8 a rompu la relation, croyant que la 2 l'avait trahi et manipulé. La rupture l'a aussi protégé de sa vulnérabilité à la douleur et aux blessures.

Après un certain nombre de mois, les membres de ce couple ont été capables de comprendre le pourquoi de leurs comportements et de leurs sentiments et de raccommoder la relation. La compréhension de leur type dans l'Ennéagramme leur a aussi permis de comprendre ce qui était arrivé. La 2 fut capable de devenir plus directe dans l'expression de ses besoins, de croire que ses besoins seraient pris au sérieux s'ils étaient communiqués de façon directe et que le style abrupt et direct du 8 ne signifiait pas qu'il ne pouvait pas aussi écouter. Le 8 apprit qu'il n'avait pas à dissimuler sa vulnérabilité par des séparations défensives et qu'il avait besoin d'écouter les signaux subtils de sa partenaire.

Un autre scénario typique de relation de couple est la dynamique parfois créée entre un 9 et un 1. Le 1 est souvent frustré par le manque d'initiatives et d'organisation du 9 et par son style parfois indirect de communication. Le 1 suppose que le 9 fait de l'obstruction, au lieu de comprendre qu'il ne peut pas valoriser ces qualités autant que lui. Alors le 9 devient généralement encore plus indirect et prend encore moins d'initiatives, dans une double tentative d'éviter le conflit et de résister au contrôle exercé par le 1. Une véritable lutte de pouvoir peut s'ensuivre.

Cette bataille peut être gagnée par le 9 qui réalise que certaines des qualités exigées par le 1 peuvent en réalité être un atout pour lui. Il est aidant pour le 1 de réaliser que le style parfois calme et indirect du 9 peut être le modèle de comportements différents et utiles pour lui. De plus, le développement du 1 peut être facilité par la prise de conscience qu'il place trop haut la barre de ses attentes à l'égard des autres (reflétant ses propres idéaux élevés) et qu'en vouloir au 9 quand il ne réussit pas à atteindre ces idéaux aboutira seulement à encore moins d'initiatives et plus de retranchement. Il est aidant pour le 9 de se rendre compte que sa difficulté dans l'initiative et l'action peut être une tentative pour résister au contrôle et que ce sentiment doit être communiqué directement plutôt que d'être manifesté indirectement. Le 9 peut être aidé à ressentir et à exprimer sa colère à propos du contrôle plutôt que de la voir un jour déborder par les côtés. Les deux partenaires peuvent alors constater leur part dans la création de la dynamique de couple plutôt que d'accuser l'autre.

Le quatrième apport de l'Ennéagramme au processus thérapeutique consiste à aiguiller les deux parties sur la voie d'un changement spécifique. Il leur montre leurs partis pris et leurs fausses perceptions et, quand ils acceptent de les voir, les moyens de changer.

Prenons une autre dynamique relationnelle entre deux types de l'Ennéagramme, celle du 3 et du 9. Dans cet exemple, le 9 était devenu plus renfermé et distant émotionnellement qu'il ne l'avait jamais été. Il ne voulait pas discuter de ses sentiments, excepté la colère à l'égard de son épouse 3 et souhaitait une séparation. Il pensait qu'elle ne l'avait jamais aimé parce qu'elle hurlait souvent, enquêtait sur son emploi du temps et l'interrogeait quand elle était sous stress. Plus il se retirait, plus elle le poursuivait pour résoudre leur conflit. Il semblait vivre dans un monde engourdi et ne se permettait en aucun cas d'entrer en contact avec ses sentiments parce qu'il avait été si douloureusement blessé. En tant que sous-type social, cela le mettait en colère que sa femme, une 3 de sous-type sexuel, ne souhaite pas autant que lui une vie sociale et percevait cela comme une preuve supplémentaire de sa négligence de ses besoins.

La 3, admettant qu'elle devenait plus dominante sous stress, fut forcée d'observer son comportement et de changer quand elle s'est rendu compte qu'elle risquait de perdre la personne qu'elle aimait. Ce fut un "échec" véritable et déchirant pour cette 3 de s'entendre dire qu'elle n'avait pas réussi à aimer son mari. Il lui fut tout aussi difficile de se rendre compte que le "succès" de son mariage prendrait beaucoup de temps (le 9 n'étant pas disposé à reprendre l'union sans garantie de sécurité), ne se ferait pas selon ses attentes et exigerait qu'elle se connecte à ses sentiments réels.

Il est étrange de constater comment nous choisissions souvent la personne qui va nous apprendre ce que nous devons apprendre pour grandir. Et il est souvent amusant de constater qu'une fois que nous l'avons choisie et que la suite devient rude, nous disons : "Je ne le ferais pas et c'est sa faute". Nous pouvons répugner à voir nos partis pris et les ombres de notre personnalité. Cela peut être une aventure humiliante, effrayante et attristante dans laquelle certains ne se lancent jamais. Il est plus facile de montrer l'autre du doigt que de regarder les trois autres doigts qui pointent dans notre direction.

Nous autres êtres humains pouvons être franchement aveugles face à la sélectivité de nos perceptions. Quand l'anesthésie de la romance s'estompe, nous nous plaignons que l'autre n'est pas ce que nous avions cru et nous nous sentons trahis et voulons nous échapper. Nous oublions que nous voyons ce que nous voulons voir et que nous projetons sur l'autre au début d'une relation. Nous oublions que les qualités qui nous ont attirés vers l'autre (des qualités qui peut-être nous manquent), nous les voyons ensuite comme un handicap parce que nous n'avons pas été capables de les intégrer et parce qu'elles sont "différentes" des nôtres. Nous cédons à notre tendance à blâmer plutôt que de percevoir le système global.

En travaillant avec des couples, il est important de se rappeler que chaque personne est façonnée par le type dans l'Ennéagramme de son partenaire, surtout si le couple est constitué depuis longtemps. Isolé, chacun des types est quelque peu différent de ce qu'il est dans une relation et ces différences dépendent du type dans l'Ennéagramme de l'autre. Par exemple, un 1 en couple avec un 2 évoluera quelque peu différemment avec le temps qu'un 1 en couple avec un 3, un 4 ou un 5. C'est la nature systémique des dyades.

Selon mon expérience, une personne peut être influencée par le type de son partenaire de trois façons différentes : elle adopte des caractéristiques appartenant au type de son partenaire, elle s'oppose aux caractéristiques du type de son partenaire ou elle développe un mélange des deux attitudes en adoptant certaines caractéristiques du type de leur partenaire et s'opposant à d'autres. Dans le premier cas, de la même façon que les gens introjectent le type dans l'Ennéagramme de leurs parents (voir l'article "Bénéfices Secondaires" de Thomas Condon), ils peuvent introjecter celui de leur partenaire. Avec le temps un 2 en couple avec un 5 peut ressembler un peu plus à un 5 et réciproquement.

Dans le deuxième cas, la personne se concentre sur les caractéristiques de son type et exagère les différences avec son partenaire. Malheureusement cette polarisation peut comporter les aspects d'une identification projective. Ce qui au début était perçu comme désirable ou apprécié chez l'autre (et comme un moyen de se réaliser) peut ensuite être perçu négativement. Par exemple, une 3 peut choisir un 9 pour son côté paisible et son approche tranquille de la vie. Elle peut ensuite ne plus aimer ces aspects du 9 et le percevoir comme manquant d'initiative ou de personnalité. Et alors sans en être consciente, la 3 projette sur le 9 le manque d'initiative ou la paresse qu'il y a en elle et qu'elle ne veut pas reconnaître. Elle s'épargne ainsi la tâche odieuse de regarder les aspects peu développés de sa personnalité. Cette dynamique est malheureusement courante.

Le manque d'engagement est une dynamique sous-jacente et importante dans certaines relations de couple. Des couples peuvent s'être mariés à l'église, avoir prononcé leurs vœux et vivre ensemble pendant dix ou vingt ans, sans vraiment être mariés. Ils n'ont pas pris la décision, pour le meilleur et pour le pire, d'être vulnérables, ouverts et véritablement intimes et dissimulent des parties d'eux-mêmes à l'autre. Cette difficulté quant à l'engagement est plus courante chez certains types (les 4, les 6 et les 7, par exemple), mais pour des raisons différentes et liées au type. Les 4, par exemple, ont des difficultés à s'engager car cela veut dire qu'ils sont vraiment impliqués dans cette vie et qu'il n'y a pas d'échappatoire, qu'ils sont réduits à être des humains et sont assujettis à toutes les conséquences de l'humanité, la douleur, la mort et le chagrin. Les 6 peuvent se sentir ambivalent à l'idée de faire confiance à quelqu'un qui a un pouvoir sur eux et peuvent préférer intellectualiser la relation plutôt que de la vivre. Les 7 peuvent avoir peur des limitations imposées par la relation (et peur en général), mais à la base, ils sont également conscients que s'engager, c'est s'exposer à l'expérience de la douleur. Souvent les types ne sont pas conscients que ce manque d'engagement est le problème. Il est extrêmement difficile d'être objectif à propos de sa propre relation et de penser hors du cadre de ses schémas mentaux et émotionnels.

Pour tous, le but d'une relation semble être "l'évolution de l'âme", ce processus par lequel une relation intime avec une autre personne accomplit notre évolution et celle de l'autre. Cela nécessite que nous prenions conscience de notre ombre et de celle de l'autre et que nous découvrions comment et pourquoi l'autre peut nous apprendre ce que nous devons apprendre. Cela implique de renoncer aux projections sur l'autre et de voir l'autre comme il est "vraiment". Cela nécessite de prendre conscience de ce que nous devons changer en nous, pas uniquement pour maintenir la relation, mais aussi pour vivre complètement notre vie. Ce processus peut être un bourbier dans lequel beaucoup s'enlisent. Mais les gens continuent d'essayer parce qu'intuitivement ils savent qu'ils désirent entrer dans la lumière d'une relation authentique avec un autre être humain, qu'ils désirent être aimés, appréciés, soutenus et connus sous leur jour véritable.