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Frédéric Chopin


Jérôme

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Bonjour à tous,

 

L'idée de ce billet m'est venue un peu par hasard, en narcotisant un peu devant la télé la semaine dernière. J'ai regardé un reportage sur le concours Frédéric Chopin qui a lieu tous les 5 ans à Varsovie et qui attire les jeunes virtuoses du monde entier. Les premiers commentaires sur Chopin et sa musique, les premiers témoignages de quelques candidats m'ont instantanément fait penser à un univers de 4. J'ai tenté après coup d'argumenter plus en détail mon impression en revisionnant le reportage et en me documentant un peu sur Internet, n'étant pas moi-même un grand connaisseur de Chopin.

 

Je vous soumets donc mon analyse.

 

Centre émotionnel intérieur

 

L'expression du centre préféré m'a parue évidente à l'écoute de quelques témoignages de participants au concours Chopin, en début de reportage.

 

Une candidate russe, qui a remporté le concours : « Ses émotions sont si naturelles que d'une certaine façon, vous ne pouvez pas apprendre à jouer sa musique et la reproduire, mais il faut la créer, et la ressentir en allant chercher à l'intérieur de vous-même. »

 

Un candidat français : « Pour moi c'est le compositeur qui exprime le mieux les sentiments humains, […] c'est par exemple celui qui parle le mieux de l'Amour »

 

La troisième citation ci-après d'une candidate japonaise me semble même décrire la direction d'utilisation préférée du centre émotionnel : « La musique de Chopin n'est pas tournée vers l'extérieur, sa force vient plutôt de l'intérieur. Je suis encore jeune, je n'ai pas assez d'expérience de la vie pour vraiment comprendre ses états d'âme. »

 

Orientation : sens du beau

 

Elle me semble à la base de la composition de ses œuvres.

 

Par ailleurs, Chopin a, avant de mourir, demandé que toutes ses œuvres inachevées soient brûlées par respect pour son public. On peut y voir une volonté de ne pas diffuser des œuvres pas assez « belles » ou peaufinées pour être associées à son nom. Peut-on y voir aussi une expression du perfectionnisme, fixation de son type de désintégration 1 (cf. hypothèse sur sa variante plus bas) ?

 

Compulsion : évitement de la banalité

 

Chopin est régulièrement cité comme inventeur d'un nouveau style de musique et d'une nouvelle technique de jeu au piano. Franz Liszt semble le seul compositeur de la première moitié du XIXe siècle à pouvoir contester son unicité, sa totale originalité.

 

J'ai trouvé les deux extraits suivants sur la fiche très détaillée de Chopin sur Wikipedia pour illustrer l'évitement de la banalité :

  • « Chopin a révolutionné le piano et a inventé une véritable école avec l'apport de nouvelles sonorités, ainsi qu'une nouvelle vision de l'instrument. Sa musique mélodieuse reste une des plus atypiques et adulées du répertoire romantique. »
  • « Entendre le même morceau joué deux fois par Chopin, c'était, pour ainsi dire, entendre deux morceaux différents. »

Mécanisme de défense : introjection – sublimation

 

La musique de Chopin est régulièrement citée comme le reflet de ses états d'âme, qu'il a ensuite su sublimer à travers l'écriture de sa musique.

 

Dans le reportage TV, j'ai trouvé marquante la façon sont les candidats du concours cherchent à s'immerger dans la vie de Chopin, comme pour eux même essayer de mieux introjecter les émotions qu'il avait lui-même intériorisées, afin de les sublimer le plus fidèlement possible. (Est-ce à dire que des candidats d'ennéatype 4 ont plus de chance de réussir dans ce domaine ?)

 

La candidate japonaise étudie sa biographie et mentionne que son expérience de la vie est insuffisante pour comprendre les états d'âme de Chopin (voir plus haut).

 

La lauréate russe tient un langage très proche : « Peut-être n'ai-je pas assez d'expérience de la vie pour comprendre ce que veut dire le compositeur. » Elle ajoute même en parlant de ses partitions : « C'est comme si on lisait un livre, on a des visions, on voit des personnes, et on vit avec elles, elles sont vivantes, alors on a l'impression de ressentir ses émotions. »

 

Pour Boucourechliev (citation Wikipédia) : « Le musicologue se demande si cet amour sublimé n'a pas été le plus beau des prétextes à l'essor de ce lyrisme […] et si Chopin […] n'a pas entièrement admis que le seul prolongement de son amour pût se trouver dans son œuvre. »

 

Passion d'envie

 

Je n'ai rien trouvé pour illustrer la passion d'envie. Ce point reste donc à valider.

 

Fixation de mélancolie

 

Je me souviens à titre personnel avoir entendu ma mère jouer Chopin au piano et avoir clairement ressenti la mélancolie qui s'en dégageait, ce qui d'ailleurs ne me le faisait apprécier que modérément.

 

Je me souviens également d'une amie 4 qui écoutait régulièrement les nocturnes de Chopin quand elle était en proie à sa fixation de mélancolie.

 

Ci-après trois citations prises sur Wikipédia qui illustrent la fixation de mélancolie, dont une de sa célèbre compagne George Sand :

  • En préambule à la première citation, je précise que Chopin a vécu 20 ans en Pologne et s'est ensuite exilé en France, mais une forte identité Polonaise lui est restée. « Ce patriotisme douloureux chez Chopin se traduit dans sa musique. Si cette dimension d'exilé fréquemment narrée par les biographes du passé, est reprise par les musicologues contemporains, elle est néanmoins interprétée différemment. Pour Eigeldinger, elle est maintenant comprise comme une nostalgie typiquement slave, une sensibilité culturelle, qui dépasse la contingence politique. » On trouve également dans cette phrase la question de l'identité propre au centre émotionnel.
  • « Certains sentiments affectifs, caractéristiques de la vie d'adulte de Chopin, sont déjà présents durant cette période. Ses camaraderies, acquises au lycée, deviennent de véritables amitiés. On trouve déjà, dans la correspondance de l'auteur, les traces de solitude et même de nostalgie, comme le montre cette lettre écrite à son amis Tytus Woyciedchowski. »
  • « La lettre que George Sand écrivit à Mme Marliani, à l'époque de leur retour en France, est une source utile pour montrer l'état des deux amoureux à la fin de leur séjour en Espagne : "Enfin, chère, me voici en France… Un mois de plus et nous mourrions en Espagne, Chopin et moi, lui de mélancolie et de dégoût, moi de colère et d'indignation." »

Variante 4 mu

 

L'utilisation de la musique comme moyen de sublimation de ses émotions me semble révélateur du centre instinctif en support, ce qui donnerait une hiérarchie des centres Ei-Ii-Mi soit une variante 4 mu.

 

Le fait qu'il soit reconnu comme un excellent improvisateur me conforte dans ce choix.

 

Son type de d'intégration serait dans ce cas 2 mu, et son type de désintégration serait 1 mu. Il me semble qu'on en retrouve la fixation de perfectionnisme dans certains témoignages, dont celui-ci de George Sand : « Il s'enfermait dans sa chambre des journées entières, pleurant, marchant, brisant ses plumes, répétant ou changeant cent fois une mesure, l'écrivant et l'effaçant autant de fois et recommençant le lendemain avec une persévérance minutieuse et désespérée. Il passait six semaines sur une page pour en revenir à l'écrire telle qu'il l'avait tracée du premier jet. »

 

Voilà pour ce premier jet. Merci à ceux qui ont pris le temps de lire jusqu'au bout.

 

Bien amicalement,

Jérôme

Jérôme E9 mu, aile 1, C =/- S -/+ X =/+

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Fabien Chabreuil

Bonjour Jérôme,

 

Merci pour cette analyse. Je ne connais que de loin la vie de Frédéric Chopin et ne peux donc en discuter sérieusement.

 

Cependant, le peu que j'en sais va à 100 % dans le sens du 4, ce que ton analyse confirme de manière fort convaincante.

 

J'ai toutefois un petit doute sur la variante mu, trouvant Chopin un peu trop évanescent et fragile pour cela. Notamment le perfectionnisme dans son activité musicale me semble insuffisant pour la justifier. D'ailleurs est-ce vraiment du perfectionnisme (donc excessif) et une désintégration ? Pourquoi pas le contraire, de la perfection et une intégration ? De plus, beaucoup de 4 sont perfectionnistes dans leur activité de sublimation sans qu'il y ait besoin pour le comprendre de recourir à l'ennéatype 1 dans lequel le perfectionnisme se généralise à d'autres contextes.

 

Très amicalement,

Fabien

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Bonjour Fabien,

 

Voila bien la preuve de toute la rigueur que demande l'utilisation de l'Ennéagramme : j'ai passé du temps pour la revue des éléments définissant l'ennéatype en étayant mon raisonnement. Une fois ce travail fini, je me suis dit "tiens, peut être est-ce possible de déterminer la variante" :beurk:, mais je l'ai fait un peu vite… Heureusement l'œil du grand sage n'a pas failli.

 

J'ai donc révisé ma copie, en commençant par relire mes notes du stage Centres, et il y a effectivement un point qui penche sérieusement pour la variante alpha : la très forte tendance utiliser le centre mental pour analyser ses émotions, générant beaucoup plus de tristesse et de mélancolie que pour la variante mu.

 

J'ai trouvé assez facile de typer Chopin, tant les témoignages semblaient flagrants pour décrire le fonctionnement de l'ego. Je me suis dit qu'une telle présence de l'ego traduisait probablement une personnalité plutôt désintégrée, présentant parfois des signes de désintégration externe. Ce raisonnement est-il valide ?

 

Après relecture de mes notes et du support de cours, je n'arrive pas à identifier des éléments suffisamment significatifs de désintégration en 2 alpha ou 1 mu.

 

Je penche donc pour l'instant plutôt pour une variante 4 alpha, mais c'est encore à étayer.

 

À bientôt, peut-être pour le sous-type (je suspecte social) après le stage Sous-types de la semaine prochaine.

 

Bien amicalement,

Jérôme

Jérôme E9 mu, aile 1, C =/- S -/+ X =/+

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Fabien Chabreuil

Bonjour Jérôme,

 

"Ce raisonnement est-il valide ?"

Oui. Si les mécanismes égotiques sont très visibles, c'est qu'il y a forcément de gros moments de désintégration interne et il est alors probable que la déintégration externe, qui intervient en parallèle, soit perceptible.

 

L'inverse est vrai dans le sens de l'intégration, bien sûr.

 

Très amicalement,

Fabien

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  • 1 month later...

Bonjour Jérôme, bonjour Fabien,

À l'âge de 14 ans, j'ai vécu un véritable choc artistique ou devrai je dire égotique en entendant pour la première fois la "Fantaisie-Impromptu en ut dièse mineur Op 66 de Chopin.


À chaque fois que j'entends ce morceau, je ne bouge plus, les notes me transpercent, et les larmes perlent. Je suis très très émue ! Ce morceau est pour moi un écho à mon ego : il allie la force, l'énergie, la colère, l'amour et la tendresse. Je ressens également à travers les notes : une tristesse, une blessure !!!! Et cela me parle !!!!

Analyse de cette œuvre trouvée sur Internet que je trouve très très explicite par rapport à mon ego de 8 mu et par rapport au typage 4 de Chopin :

 

L'œuvre fut composée en 1833-34. Le titre de l'œuvre "impromptu" signifie de manière improvisée, sans préparation, ou encore être prêt.

Cela désigne une composition qui échappe aux formes classiques et qui cadre davantage avec l'esprit et l'esthétique romantique. Cette œuvre, une des plus connue de Chopin, ne fut éditée qu'en 1855 par son ami Fontana, qui ajouta sans raison le mot "fantaisie". La particularité de cet impromptu se trouve dans l'usage de la polyrythmie, quasiment pendant tout le morceau. Le rythme binaire de la main droite et le rythme ternaire de la main gauche obligent sans arrêt à une combinaison de triolets et de quartolets.

Sur la partition, on voit très bien que pour quatre notes jouées par la main droite en double croche, la main gauche n'en joue que trois. L'indépendance des deux mains était une pratique connue à l'époque classique, mais uniquement pour faire un effet, et pendant un temps assez court. Dans la fantaisie, il s'agit d'une nouveauté tout à fait audacieuse pour l'époque, et le fondement de l'œuvre repose sur ce principe.

Dans la partie centrale (largo, moderato cantabile), les doubles croches laissent la place à un chant rêveur et doux, comme Chopin sait si bien nous les offrir, tout en conservant cette polyrythmie entre les deux mains, mais de façon moins prononcée.

Après cette partie médiane, le thème du début revient avec encore plus de vigueur et de vélocité, et le morceau se termine par une coda qui amène le passage final très expressif, où la main gauche reprend la mélodie de la partie médiane et nous amène tout doucement vers une accalmie bien méritée après cette frénésie de double croches. Toutefois la main droite continue de façon imperturbable ses doubles croches presque en sourdine, comme pour se jouer de la basse qui chante encore le thème central.


J'aimerai vous faire découvrir une version disons… 7 de cette œuvre — restons dans la fantaisie — grâce à Pierre-Yves Plat. Ecoutez, c'est très surprenant !!!!!

Bizzzzzzzzzzzz,
Claire

Claire : 8 mu, aile 9, C--/+ S+ X++

"Le moment présent a un avantage sur tous les autres : il nous appartient." (Charles Caleb Colton)

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Bonjour Claire,

 

Je trouve également ce morceau subjuguant. Tu n'imagines pas combien de fois je l'ai écouté en boucle pendant que je rédigeais mon billet sur Chopin… Il fait vivre bien mieux que des longues phrases l'émotion et l'unicité du 4. L'interprête est également remarquable.

 

Il y a eu, fin 2010, un numéro spécial de Cerveau & Psycho consacré au cerveau mélomane, avec notamment plusieurs articles qui expliquent comment la musique déclenche les émotions de manière immédiate et universelle. L'écoute d'un même morceau par différentes personnes de diffférentes cultures semble amener en un temps très bref, bien inférieur à la seconde, au déclenchement des mêmes émotions primaires.

 

Je ne me suis pas encore posé la question sur ce qui rend un ennéatype particulièrement sensible émotionnellement en écoutant de la musique. Je sais que c'est mon cas, et que la musique me tire très facilement des larmes, comme elle peut me donner de la joie.

Je dirais même que je recherche les émotions déclenchées par la musique lorsque je suis seul. Je pouvais y passer des heures il y a quelques années.

J'évite cependant trop de mélancolie

 

Un article dans le numéro spécial cité plus haut mentionne un effet particulier des changements de tonalité sur les émotions. Je vis tout a fait cela, étant particluièrement adeptes de tels morceaux enchaînant les changements de tonalité.

 

Le requiem de Mozart me met dans un état de frissons et de larmes assez fort, et en tout particulier la seconde de silence qui suit la dernière note du premier et du dernier mouvement qui enchaînent rapidement de tels changements de tonalité… mais cela ne marche que si je reste présent dans la musique depuis le début du mouvement. Que les pensées se mettent en route et c'est fichu !

 

Je note que nous avons la même hiérarchie des centres I-E-M, peut être une piste à creuser.

 

À très bientôt.

Très amicalement,

Jérôme

Jérôme E9 mu, aile 1, C =/- S -/+ X =/+

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Merci pour ces moments musicaux vraiment excellents !

Je n'en dirai pas plus pour ce soir par manque de temps. J'en profite juste pour confirmer que le 4 alpha de Chopin est bien confirmé (j'ai lu ça sur le blog).

Bravo Jérôme pour cette analyse. Tout ça donne envie de se remettre à la musique !
Amicalement,
Isabelle

Isabelle (E1 alpha, C++ S-/= X+, aile 2)

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  • 5 years later...

Bonjour à tous,

Tout d’abord merci beaucoup à Jérôme d’avoir créé ce sujet et aux participants d’avoir contribué à la connaissance de Frédéric Chopin et de l’Ennéagramme.

Parmi les musiques qui me touchent le plus, qui résonnent au plus profond de moi, il y a avant tout celles de Frédéric Chopin et de Barbara. Ma prédilection risque d’ailleurs de porter atteinte à mon objectivité : prudence.
J’ai relu une biographie de Chopin et de sa famille : Chopin (Bernard Gavoty, Éd. Grasset & Fasquelle, 1974) et écouté les émissions Musicopolis d’Anne-Charlotte Reymond sur France–Musiques, du 28 au 31 décembre 2015, « Chopin à Paris en 1932 ». Les citations qui suivent sont extraites de ces deux sources — sources insuffisantes, je n’en disconviens pas.

Dans ces sources, j’ai trouvé les traits de l’essence et de l’ego de l’ennéatype 4 alpha, sauf…
 

Passion d'envie

Je n'ai rien trouvé pour illustrer la passion d'envie. Ce point reste donc à valider.

 

… sauf l’envie : j'ai trouvé des indices, mais je les trouve douteux.

Dans les lettres adressées par Frédéric Chopin à sa famille et à ses amis, et dans ses carnets de notes, j’ai entendu beaucoup de sentiments, beaucoup de chaleur, beaucoup d’empathie et de compassion, beaucoup d’amour, et aucune trace d’envie. Chopin aimait beaucoup ses proches, d’un amour réciproque, et ressentir de l’empathie et de l’amour me semble incompatible avec un éventuel ressenti d’envie. Passons.

Dans les témoignages cités par son biographe, je n’ai rien trouvé non plus. Chopin était très aimé par ses proches, ses élèves et son public et c’était réciproque. Les personnes qui l’aimaient, focalisées sur leur amour, n’ont peut-être pas prêté attention à des traits comme l’envie. Quant à ceux qui connaissaient moins bien Chopin, peut-être n’ont-ils considéré que les qualités et défauts du personnage public Chopin. Peut-être aussi qu’en public, Frédéric portait le masque du 3 (je n’ai pas réussi à déterminer l’aile principale de Chopin, 3 ou 5). Je pense aussi au mensonge de l'ego du 3. Patricia & Fabien nous ont signalé que percevoir l’envie chez un 4 nécessitait souvent de le connaître intimement, sauf en cas de désintégration manifeste. Même si un témoin avait remarqué de l’envie chez Chopin, l’aurait-il mentionné à quelqu’un ? Son témoignage serait-il parvenu jusqu’à ses biographes ?

Enfin, porté un extraordinaire amour familial réciproque (ses parents et ses sœurs), le niveau d’intégration de Chopin était sain ou libre dès son adolescence et l’est resté longtemps. Du moins jusqu’à la mort inattendue de sa sœur qu’il chérissait tant. L’invasion de son pays par la Russie et surtout la destruction de l’identité de son pays, l’avaient lourdement éprouvé et la mort de sa sœur tant chérie a aggravé ses souffrances. Souffrances qu’il a merveilleusement sublimées dans sa musique : chapeau bas.

 

*********************

 

J’en viens aux indices d’envie que j’ai trouvés. Des indices douteux. Pour lever mes doutes, j’ai besoin d’avis éclairés — ennéagrammiquement, s’entend.

Chopin était très aimé et très apprécié et n’enviait aucunement les autres compositeurs et les autres pianistes de son époque. Au contraire, il avait beaucoup d’amis compositeurs ou/et pianistes et les appréciait : Liszt, Kalkbrenner, Schumann, Mendelssohn, Berlioz, etc. Son originalité lui suffisait. La seule exception que j’ai trouvée, est une parole confiée à son ami Titus, dans une lettre enflammée, lorsqu’il débarqua à Paris en 1831 et se présenta pour la première fois à Kalkbrenner : "J’ai, je te l’avoue, joué comme Hertz, et je voudrais jouer comme Kalkbrenner" (source : émission du 28 décembre). Il était tellement enchanté par Paris, que je ne peux croire qu’il ressentit alors de l’envie. D’ailleurs, il a aussi affirmé plus tard à Kalkbrenner qu’il ne voulait pas l’imiter. Et son amitié réciproque avec Kalkbrenner a duré.

À ses élèves il ne donnait pas ses compositions à travailler, mais celles de Bach. Il admirait Jean-Sébastien et le jouait lui-même très très souvent. Admirait ou enviait ? Je penche pour de l’admiration sans envie — et de l’humilité. Pourquoi se serait-il comparé à Bach ? Ses compositions et son jeu étaient si originaux.

Chopin cherchait un idéal pianistique inaccessible ("Je suis encore loin de la perfection", dixit en 1832). Un idéal aussi élevé que sa sensibilité et son sens de la beauté. Il était très exigeant avec lui-même, travaillait beaucoup. Peut-être que son envie ne portait pas sur un être vivant, mais sur cet idéal inaccessible ? Est-ce possible (du point de vue de l’Ennéagramme) ? Là aussi, je me sens très sceptique. Étant donné son ennéatype 4 alpha, je vois dans la concrétisation — sublime — de son idéal, des signes d’intégration. Donc à mon avis, c’est à nouveau un faux indice.

Autre indice dans un témoignage de Franz Liszt à propos de Chopin. Dans ce témoignage, Liszt parlait d’un manque. Je vais vous livrer son témoignage… Avec réticence. Réticence, d’abord à cause du caractère de Franz, de sa fantaisie, de sa personnalité aux antipodes de celle de Frédéric. Avec son grand ami Chopin, Liszt entretenait des relations amicales d’émulation, et je doute énormément de son objectivité. Ensuite je me méfie du mécanisme de projection. Enfin Liszt ne fit que poser des hypothèses : cf. ses expressions « ce nous semble », « peut-être », « sans doute », « ? », « peut-être », « presque ». Bon tant pis, je prends quand même le risque de vous livrer son témoignage (ça me changera un petit peu du style SMS). Auparavant, pour la compréhension, j’aimerais signaler que le toucher de Frédéric était si délicat, qu’il se sentait inadapté aux grandes salles de concert — contrairement à notre exubérant Franz qui, lui, adorait les grandes salles pleines à craquer… À craquer pour lui.

II, p 325 : un extrait de Chopin, de Liszt : « Sa volontaire abnégation des bruyants succès cachait, ce nous semble, un froissement intérieur. Il avait un sentiment très distinct de sa haute supériorité, mais peut-être n’en recevait-il pas du dehors assez d’écho et de réverbération pour gagner la tranquille certitude d’être parfaitement apprécié. L’acclamation populaire lui manquait, et il se demandait sans doute jusqu’à quel point les salons de l’élite remplaçaient par l’enthousiasme de leurs applaudissements le grand public qu’il évitait. Peu le comprenaient : mais, ce peu, le comprenaient-ils suffisamment ? Un mécontentement assez indéfini, peut-être pour lui-même, le minait sourdement. On le voyait presque choqué par les éloges, il trouvait fâcheuses les louanges isolées. Il se jugeait non seulement peu applaudi, mais mal applaudi. Trop ingénieux moqueur lui-même pour prêter le flanc au sarcasme, il ne se drapa point en génie méconnu. Sous une apparente satisfaction, pleine de bonne grâce, il dissimula si complètement la blessure de son légitime orgueil, qu’on n’en remarqua presque pas l’existence. Mais ce n’est pas sans raison qu’on attribuerait la rareté, graduellement augmentée, de ses concerts, plus encore au désir de fuir les occasions qui ne lui apporteraient pas tous les attributs qu’on lui devait, qu’à sa faiblesse […]. »

Qu’elle me semble légère, cette piste. Entre parenthèses, si l’hypothèse de l’envie dans ce contexte s’avérait, alors le témoignage de Franz illustrerait comment la contrepassion du 4, conjuguée au souci de l’identité et de l’image du centre émotionnel, peut cacher la passion : « on n’en remarqua presque pas l’existence ». La souffrance du 4 alpha n’est pas toujours manifeste, quand son art la transcende dans un niveau d’intégration sain : je songe à la genèse des Préludes et aussi à celle des chansons Une petite cantate, Nantes et Göttingen de Barbara.

Anne-Charlotte nous a donné un autre indice dans son émission du 30 décembre. Après avoir écouté pour la première fois Liszt jouer les Études de Chopin, celui-ci se serait écrié : « Je voudrais lui voler sa manière de rendre mes propres Études ! » Étrange cri de la part d’un pianiste aussi original, d’un pianiste inégalé… Mais moins étrange si je considère sa quatritude.

 

*********************

 

Pour conclure, j’imagine que Chopin manifestait peu d’envie dans sa vie, d’abord parce qu’il est resté longtemps dans un état d’intégration sain ou libre, et ensuite parce que l’envie, il l’a sublimée dans sa musique. Quand il était dans un état d’intégration sain ou libre, il a développé son art à un point tel que, lorsque son état moral et physique se dégrada, il put s’appuyer sur lui pour sublimer ses souffrances. Pour survivre.
Son art fut à la fois l’instrument de son génie et de son talent… Et de sa survie.

Musicamicalement,
Yves

P.S. : cela fait longtemps que je voulais répondre à Jérôme, mais ma peur cinqualfesque de ne pas en savoir assez m’a poussé à différer ma réponse. Désolé, Jérôme.

Yves (E5 alpha, ailes 4 et 6, C- S= X-/+)
"Attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction." (Jean Rostand)

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Fabien Chabreuil

Bonjour à tous,

 

"Ma prédilection risque d’ailleurs de porter atteinte à mon objectivité."

Il me semble que cela pourrait être le cas, comme cela peut être le cas de certains biographes que leur admiration pour un génie de la dimension de Chopin transforme en hagiographes.

 

Reprenons ces affirmations : "Le niveau d’intégration de Chopin était sain ou libre dès son adolescence et l’est resté longtemps. […] Un pianiste inégalé."

 

La première est peu vraisemblable. D'ailleurs, Jérôme a relevé la plupart des mécanismes égotiques du 4 chez Chopin, et toi-même, Yves, confirme : "Dans ces sources, j’ai trouvé les traits de l’essence et de l’ego." Je me suis amusé — bien sûr ! — à faire quelques recherches sur l'Internet. Voici quelques extraits de la correspondance de Chopin — les mots du personnage sont toujours la meilleure source pour le typage :

  • "Vivre ou mourir, tout m'est égal aujourd'hui. Pourquoi suis-je abandonné ? Pourquoi ne suis-je pas avec vous prenant ma part du danger ?"
  • "Je me suis rendu à minuit, seul, à pas lents, à la cathédrale Saint-Étienne. Lorsque j'y arrivai, il n'y avait encore personne. […] Derrière moi, un tombeau ; sous mes pieds, un tombeau… Il n'en manquait un qu'au-dessus de ma tête. Une harmonie lugubre s'éleva en moi… plus que jamais je ressentis ma solitude."
  • "En quoi un cadavre serait-il moins que moi ? Un cadavre aussi ignore tout de son père, de sa mère, de ses sœurs, de Tytus. — Un cadavre non plus n'a pas de bien-aimée ! Il ne peut pas communiquer dans sa propre langue avec ceux qui l'entourent ! — Un cadavre est aussi pâle que moi. Un cadavre est aussi froid que moi qui sens moi-même que tout me laisse froid à présent."

Pour la seconde, si tu parles de qualité de jeu, c'est une affirmation subjective puisque nous n'avons aucun moyen de le savoir et de comparer Chopin à de merveilleux pianistes comme mon cher Walter Gieseking ou comme les plus grands interprètes actuels. Si tu parles de technique, je suis très sceptique. Quel que soit l'instrument, le niveau a prodigieusement augmenté au cours des siècles. Par exemple, les œuvres de Niccolò Paganini était de son temps d'une telle difficulté que lui seul pouvait les jouer et qu'il passait pour l'incarnation du diable ! Le moins qu'on puisse dire est qu'aujourd'hui les interprètes pouvant les mettre à leur répertoire sont légion.

 

"Peut-être que son envie ne portait pas sur un être vivant, mais sur cet idéal inaccessible ? Est-ce possible (du point de vue de l’Ennéagramme) ?"

Non, il n'est pas possible que l'envie s'exerce uniquement dans ce contexte.

 

Du point de vue de l'ennéagramme, il n'y a pas de discussion :

  • Soit Frédéric Chopin ne manifeste pas d'envie et il n'est pas 4.
  • Soit Frédéric Chopin est un 4, ce que semble montrer la présence des autres caractéristiques égotiques, et l'envie est présente quelque part. La phrase que tu mentionnes à propos du jeu de Liszt entre quand même bien dans cette catégorie mais ne peut pas être seule manifestation de la passion. Les citations que j'ai reproduites en début de message me semblent aussi contenir de l'envie, et si j'ai pu trouver cela en dix minutes de recherches, il doit y en avoir bien d'autres.

Très cordialement,

Fabien

 

Source : Jean-Yves Clément, Les deux âmes de Frédéric Chopin, Paris (France), Presses de la Renaissance, 2013. [Version Kindle] Pour le plaisir, voici un extrait de la quatrième de couverture : "Cette ombre, sous laquelle croît son art, est révélatrice de la dualité de l'être profond de Chopin : français et polonais, classique et romantique, emporté et réservé, abattu et exalté, morbide et empli d'humour badin, social et renfermé, mondain et secret… Toute sa vie, le musicien restera un exilé du monde."

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Bonjour à tous,

 

Je me sens convaincu, Fabien, par tes compléments et rectifications.

 

"Ma prédilection risque d’ailleurs de porter atteinte à mon objectivité."

Il me semble que cela pourrait être le cas.

Oui, ce fut le cas. Mon affirmation infondée à propos d’un état d’intégration sain ou libre de Chopin dès son adolescence, illustre jusqu’où peut dériver l’ego du 5, malgré mon souci d’objectivité.

 

Voici, pour compléter tes citations — si parlantes —, Fabien, ainsi que les citations du premier message de Jérôme, à propos de la mélancolie, cette citation-ci de Gavoty :

 

VII, p 194 : « En 1832 […] Orlowski [contemporain et compatriote de Chopin, chef d’orchestre] écrit aux siens à Varsovie : “Il m’arrive d’aller le voir [Chopin] et de revenir, sans avoir échangé un seul mot avec lui, tant il est mélancolique. La cause est qu’il s’ennuie de son pays et de sa famille. N’en parlez pas à ses parents. Je vous en prie : ils s’en tourmenteraient trop. À Paris, la situation est mauvaise”: les artistes sont réduits à la misère, parce que le choléra a fait fuir en province toutes les familles riches…” »

 

Merci Fabien de me permettre de mieux me connaître.

 

Amicalement,

Yves

Yves (E5 alpha, ailes 4 et 6, C- S= X-/+)
"Attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction." (Jean Rostand)

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  • 2 months later...

Bonjour à tous,

J’aimerais signaler un biais d’attention lors de mes lectures à propos de Chopin. Je connais le risque de confusion entre vertu et contrepassion ; pourtant mon attention a été détournée de ce risque. Ainsi n’ai-je vu qu’une manifestation de la vertu du 4 — et non la possibilité de la manifestation de la contrepassion — dans le début de lettre suivant de Chopin, alors adolescent — pas encore exilé.

Gavoty, II, p. 59 : « Mes parents bien-aimés,
Je me porte bien, grâce à Dieu, et le temps passe fort agréablement. Je ne lis pas, je n’écris pas, mais je joue du piano, je dessine, je jouis du bon air en me promenant en voiture ou, comme hier, en parcourant la campagne sur le blanc du verbe connaître [NDT : jeu de mots avec na Koniu, qui signifie « à cheval »].
J’ai un appétit extraordinaire. Mais pour satisfaire tout à fait mon maigre ventre, il suffirait qu’on me donnât la permission de manger à satiété du pain de campagne. »

Dans cette lettre, Chopin semble attacher une valeur positive à ses comportements : un premier indice d’une manifestation possible de la contrepassion. Les avis de ses proches à ce moment-là nous auraient aidés à trancher entre vertu et contrepassion.

Les assertions suivantes ne sont, ni de la plume de Chopin, ni de celle d’un de ses proches… Donc ne permettent pas de lever l’ambigüité (dur dur pour mon ego de 5 :perplexe:).

II, p 62 : « Pour un jeune génie choyé, apprécié, adulé, il n’est guère blasé. Simplicité, acceptation de sa jeunesse, parfaite aisance […]. Nature charmante, primesautière, nullement mélancolique. Pas la moindre trace du fameux zal, rarement défini, toujours invoqué pour dépeindre la nature secrète de Chopin.
Qu’est-ce que le « zal » ? À en croire Liszt, le mot revenait souvent dans la bouche de Chopin quand on lui demandait quels sentiments il avait enfermés dans sa musique.
Eh bien, le zal est absent des premières œuvres de Chopin, comme d’ailleurs, des nuances de son caractère d’adolescent. »

Amicalement,
Yves

Yves (E5 alpha, ailes 4 et 6, C- S= X-/+)
"Attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction." (Jean Rostand)

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Fabien Chabreuil

Bonjour à tous,

 

"Ainsi n’ai-je vu qu’une manifestation de la vertu du 4 — et non la possibilité de la manifestation de la contrepassion — dans le début de lettre suivant de Chopin."

Peut-être est-ce effectivement de la contrepassion, Yves. Ou peut-être était-ce un moment particulièrement heureux de sa vie — je ne la connais pas et n'ai donc pas d'opinion à ce sujet. Lorsque tu écrivais que "le niveau d’intégration de Chopin était sain ou libre dès son adolescence et l’est resté longtemps", je n'émettais de doute que sur "dès" (plutôt que "durant") et "et l'est resté longtemps". Même s'il est rare que l'adolescence soit une période d'intégration.

 

Très amicalement,

Fabien

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