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l’ennéagramme

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Bonjour à tous,

 

Avant de lire ce que je dis ici, il est préférable de lire ce que j'ai écrit dans la discussion "ennéatype d'un système spirituel et ennéatype de son fondateur", et notamment sur la distinction entre le "Christ des élaborations théologiques" et le "Jésus historique". Le premier a été traité dans la conversation "Jésus Christ" et j'aborde le second ici.

 

Dans toute ma recherche de détermination de Jésus, je vais me référer essentiellement aux travaux du chercheur américain John Paul Meier, qui fait autorité en cette matière du "Jésus historique". Celui-ci a entrepris une somme sur le sujet, prévue en quatre tomes: Un certain Juif, Jésus – les données de l'histoire (titre original : Jesus, A Marginal Jew – Rethinking the Historical Jesus). Trois tomes sont parus :

  • T. I : Les sources, les origines, les dates
  • T. II : La parole et les gestes
  • T. III : Attachements, affrontements, ruptures

Le T. IV est à paraître sous le titre Questions ouvertes et enjeux.

 

Ce qui est paru fait déjà deux bons milliers et demi de pages en taille de caractères plutôt petite.

 

Je garderai cependant un oeil éventuellement sur d'autres auteurs. D'autre part, comme je l'ai dit, je mène cette étude en dialogue avec un formateur biblique, qui connaît mieux que moi le côté exégétique, et avec vous tous qui le voudrez bien, et qui connaissez peut-être mieux que moi le côté ennéagramme.

 

J'aborde cette détermination par la voie de la recherche de la hiérarchie des centres, qui me semble la plus sûre et la plus praticable. J'estime qu'il y a de bonnes raisons de penser que Jésus réprimait le centre mental. En toile de fond, je commence par citer un résumé suggestif de John P. Meier, significatif de ce que fut et fit Jésus :

Aux environs de l'an 28 de notre ère, après son baptème, Jésus sortit du cercle du prophète Jean (ndlr : le Baptiste) et commença son propre ministère prophétique… proclamant… (que) le présent ordre des choses allait rapidement toucher à sa fin. Le seul vrai Dieu allait imposer sa souveraineté définitive sur Israël en rassemblant les douze tribus dispersées et en restaurant ainsi son peuple choisi dans son intégralité originale. C'est pour annoncer prophétiquement la venue de ce "royaume [= souveraineté et règne] de Dieu" et pour commencer son actualisation dans des signes et des guérisons symboliques que Jésus se mit à parcourir la Galilée et la Judée. Il assuma consciemment le rôle du prophète Elie, qui était attendu pour restaurer Israël et le préparer à la venue de son Dieu. En imitation d'Elie, Jésus entreprit un ministère itinérant, en grande partie (mais pas uniquement) dans l'Israël du nord. Reprenant un épisode célèbre du ministère d'Elie (ndlr : l'appel de son disciple Elisée), il adressa à des disciples un appel péremptoire à le suivre dans son ministère itinérant, en exigeant d'eux parfois de grands sacrifices. En écho à la mission présumée d'Elie de rassembler les douze tribus d'Israël, Jésus constitua un cercle intérieur de douze disciples et les envoya en mission en Israël. Comme pour Elie (et pour Elisée), on pensait, même au cours de la vie de Jésus, que celui-ci avait accompli toute une série de miracles, y compris des résurrections des morts.

 

Si le relevé historique n'avait contenu qu'un seul de ces éléments, on aurait pu mettre en cause l'intention de Jésus de se référer à l'image d'Elie. Mais la convergence de tant d'actions différentes, soigneusement choisies et à valeur programmatique, crée inéluctablement une Gestalt, une configuration complexe d'éléments en corrélation, qui témoigne clairement de l'intention de Jésus de se présenter à ses compatriotes juifs comme le prophète de la fin des temps à la manière d'Elie. Par "fin des temps" ou "eschatologie", il ne faut pas entendre quelque destruction fantasmagorique du ciel et de la terre ou la fin absolue de l'histoire humaine à la manière des apocalypses juives. Jésus annonçait plutôt la fin de l'état présent des choses, la fin de l'histoire sainte telle qu'Israël l'avait connue jusqu'alors et la mise en place définitive d'un nouvel ordre des choses. Dieu exercerait bientôt sa souveraineté royale directement sur Israël et il accomplirait sa sainte volonté par son peuple repentant et pardonné; celui-ci ferait alors l'expérience d'une plénitude de paix et de joie, selon le projet que Dieu avait fait pour lui depuis le commencement.

 

Jésus n'a pas dit ce que cela pouvait signifier dans le détail. Il n'était pas un leader politique dans le sens de quelqu'un qui propose un programme politique et social détaillé à mettre en application dans des mesures concrètes précises. La transformation d'Israël à la fin des temps devait plutôt être l'oeuvre de Dieu venant comme roi. La tâche de Jésus en tant que prophète de ce royaume, était de prophétiser cet avènement qui allait changer le monde et de commencer à y préparer Israël, en l'appelant au repentir, au baptême et à un renouveau de vie morale, dans une société aimante et compatissante. Par des actions publiques qui attiraient l'attention, comme les miracles, le fait de partager ses repas avec des Juifs à la réputation sociale et religieuse douteuse et celui d'envoyer les douze disciples vers leurs compatriotes israélites, Jésus entendait à la fois anticiper et mettre en route ce que Dieu seul accomplirait totalement lors de sa venue. Jésus comprenait tous ces actes prophétiques symboliques comme des déclencheurs des puissances du royaume qu'ils annonçaient.

 

Mais en même temps, ces actes étaient seulement symboliques et prophétiques. Ils ne constituaient pas des programmes pratiques visant à mettre en place un nouveau régime… Jésus parlait en paraboles, en discours allusifs en forme d'énigmes, qui visaient à provoquer les gens et à changer les perceptions qu'ils avaient d'eux-mêmes, de leurs proches et de leur Dieu et non à décrire la manière dont ils devaient restructurer le système de la collecte des impôts ou celui de la répartition des terres. Il est vrai que, de façon audacieuse, voire hyperbolique, Jésus parlait de pardon magnanime (y compris de la remise des dettes), d'aumône désintéressée et de générosité dans l'assistance à apporter aux personnes dans le besoin. Cependant rien de tout cela, ni tout cela pris ensemble, ne constitue un programme clair et précis.(ndlr : le terme souligné l'est par l'auteur lui-même)

Je pense qu'il faut garder à l'esprit le risque que notre analyse peut être biaisée par le fait que Jésus était, comme tous ses contemporains, un pré-rationnel, alors que nous, nous sommes des rationnels ou des post-rationnels.

 

Néanmoins, je pense que Jésus avait une vision confuse du futur réel, de l'avenir concret. Il avait une idéologie du règne de Dieu devant venir "bientôt", mais quand ? A la fois, ce royaume était pour le futur, mais il était censé avoir une réalité dans le présent de Jésus à travers ce qu'il accomplissait, et entre les deux, au quotidien ?

 

Jésus itinère. Les évangiles, notamment celui de Marc, donnent l'impression d'un Jésus assez imprévisible. Par exemple, dans Marc 6, 45, Jésus, qui est quelque part au bord du lac de Galilée, demande à ses disciples de monter en barque en direction de Bethsaïde (nord du lac). Quelques versets plus loin, le débarquement se fait à Gennésareth (nord-ouest) sans explication. L'épisode qui est raconté entre les deux n'a rien d'historique, mais les notations géographiques sont peut-être une réminiscence des changements d'itinéraire auxquels Jésus avait peut-être habitué ses disciples. On peut avoir l'impression qu'il erre plus qu'il n'itinère. Certains déplacements posent de véritables énigmes. Alors qu'il affirme n'être "venu que pour les brebis perdues de la maison d'Israël" (parole historique) et qu'il interdit aux disciples qu'il envoie en mission d'entrer chez les païens et les samaritains, il fait avec eux au moins une ou deux excursions en pays païen : une qui semble bien attestée historiquement à Gérasa en Décapole, à l'est de la Galilée ; une autre qui pose un peu plus problème historiquement, un bizarre grand tour à travers une partie du Liban et de la Syrie actuelle, en passant par Tyr, Sidon (Saïda) et retour vers la mer de Galilée en passant par le territoire de la Décapole, on ne saisit pas bien pourquoi ; une autre encore où il s'en va avec ses disciples "vers les villages voisins de Césarée de Philippe", mais ce qui s'y passe pourrait aussi bien se passer en Galilée, ce que semble supposer Luc, qui toutefois ne précise pas le lieu.

 

Changements de programme aussi. En Marc 6, 30-34, les disciples envoyés en mission reviennent faire leur compte-rendu à Jésus. Ils sont fatigués, Jésus aussi, de plus des foules ne cessent d'arriver et de repartir, et ils n'ont même pas le temps de manger. Jésus propose donc de prendre une barque pour partir se reposer dans un lieu à l'écart. Mais au lieu de débarquement, une foule imprévue se trouve là à les attendre. Aussitôt Jésus, oubliant le besoin de repos pour ses disciples et pour lui-même, se met à les instruire longuement. D'une manière générale, il a des exigences fortes envers ses disciples, des exigences de fidélité, d'attachement et d'engagement fort, mais il a beaucoup plus de sollicitude envers les autres personnes ou les foules.

 

En fait ce qui arrive toujours c'est qu'il est tributaire des situations et surtout des gens et de leurs réactions. Par exemple, il va à Nazareth, son village natal, pour prêcher sa conception du règne de Dieu, mais il subit un échec parce qu'ils le connaissent trop bien, ils savent qu'il est le charpentier et ils connaissent tous ses proches. Selon Marc 6, 5-6, "il ne pouvait faire là aucun miracle… et il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas." Toujours selon Marc, au verset suivant, c'est aussitôt après cet échec qu'il rebondit en envoyant ses disciples du groupe des douze en mission dans d'autres villages à sa place pour une durée déterminée. Le seul problème de cet épisode de Nazareth est qu'il contient au verset 4 une phrase de Jésus, devenue un adage populaire, qui a des chances d'être historique, mais qui a toutes les apparences d'une rationalisation pour justifier l'échec, ce qui met à mal mon argumentation : "Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison."

 

Jésus se montre tributaire aussi de la détresse des gens et de leurs sollicitations, notamment des personnes malades ou dites "possédées". Il est un fait que Jésus avait un don, ou des dons, de guérison. Rien d'extraordinaire en soi : il y a toujours eu dans nos campagnes, voire dans nos villes, des gens qui avaient "le don" de soulager de telle ou telle chose. Il a accompli de ces guérisons, aussitôt qualifiées par les gens, et sans doute par lui-même, de miracles, c'est-à-dire choses venant de Dieu et accomplies par Dieu, même si cela trouble nos représentations rationnelles. Meier pense même que "la tradition des miracles de Jésus est soutenue plus fermement par les critères d'historicité que ne le sont beaucoup d'autres traditions bien connues et acceptées sans problème concernant sa vie…" (T. II, p. 474). Jésus n'a pourtant pas fait profession de guérisseur, ni d'exercice légal ou illégal de la médecine. A ses yeux, ses guérisons ne devaient être que symboliques du règne de Dieu, et n'ont donc pas dû être si massives que certains passages des évangiles le laissent supposer. Pourtant, il y a un certain nombre de cas où il semble qu'il soit intervenu parce qu'il a été "pris de pitié", ou que la demande a été suffisamment insistante pour qu'il change d'avis.

 

Il y a un épisode curieux dans Marc 5, 25-34, qui est repris de manières différentes par Matthieu et Luc. Il s'agit d'une femme souffrant d'hémorragies depuis douze ans, dont l'état s'empire malgré de nombreuses consultations et de nombreux traitements qui l'ont ruinée. Elle se dit que si elle parvient à toucher seulement le vêtement de Jésus, elle pourrait être guérie. Or Jésus est entouré par une foule qui le presse de toute part. La femme parvient pourtant à ses fins, et elle ressent aussitôt dans son corps qu'elle est guérie. Jésus a aussi ressenti "qu'une force était sortie de lui". Il se retourne et demande qui l'a touché. Ses disciples lui font remarquer que beaucoup de gens dans la foule étaient en contact avec lui, mais lui insiste et s'obstine jusqu'à ce que la femme lui dise tout. On est gêné par le côté magique. Les historiens considèrent, en tout cas Meier considère, ne pas avoir assez d'éléments pour dire si cette histoire a un fond d'historicité ou pas. Néanmoins je considère que cette histoire devait être embarassante pour un évangéliste comme Marc et qu'on ne voit pas pourquoi il l'aurait mise dans son évangile s'il ne l'avait pas reçu d'une tradition orale ou d'une source écrite qu'il utilisait. Il y a un double embarras : pour les disciples en tant que juifs, cette femme, dont le problème semble être d'ordre gynécologique, est impure selon la Loi du fait de son hémorragie chronique, et elle n'aurait pas dû risquer de toucher qui que ce soit, surtout pas le saint homme ; pour les disciples en tant que disciples, le "manque d'intelligence" et l'obstination de Jésus fait problème. La preuve en est que Matthieu a considérablement raccourci l'histoire et a supprimé complètement tout le passage de l'enquête de Jésus : il a deviné tout seul qui l'avait touché ! Luc modifie également un peu le récit de façon à rendre les choses plus acceptables. Je ne me sens pas capable de me prononcer avec certitude sur l'ensemble de l'épisode, mais je pense qu'il y a là quand même un écho de certaines manières de réagir historiques de Jésus.

 

Il y a un autre épisode étonnant : un jour, il voit un figuier, et, ayant faim, il s'approche pour voir s'il y a des figues. Il n'en trouve pas pour une bonne raison: ce n'est pas le temps des figues. Cela ne l'empêche pas de maudire le figuier.

 

Bref, Jésus semble en général ne pas réagir de manière logique et rationnelle.

 

On peut faire quelques objections à cette hypothèse du centre mental réprimé. La première est que Jésus est tout de même un enseignant. Les évangiles disent souvent que Jésus enseignait la foule ou parfois, de façon plus restreinte, ses disciples. Mais dans de nombreux cas, c'est comme un refrain : il ne nous est rien dit du contenu de ces discours. Dans d'autres cas, on a effectivement des enseignements plus ou moins longs, et plus ou moins remodelés par les évangélistes, à partir de leurs sources, qui peuvent n'être qu'une compilation de paroles attribuées à Jésus, mais qui sont loin d'être toutes historiquement de lui. En fait, on a vu quel est le contenu global de l'enseignement : l'annonce du règne ou du royaume de Dieu. Cet enseignement est fait d'une part d'un enseignement effectif sous forme de paroles et de paraboles ; d'autre part d'un agir qui se veut aussi enseignement : l'appel et l'établissement du groupe de disciples comme préfiguration du royaume, et les signes ou symboles du royaume, tels que les "miracles". Au fond, il n'y a rien dans tout cela qui implique une préférence du mental, ni même qui s'oppose à une répression du mental.

 

La deuxième objection est justement qu'il s'exprimait en paraboles. Il racontait des histoires et aimait ça. On doit donc penser au type 7, et rapprocher ça du côté bon vivant de Jésus et de sa façon joyeuse et optimiste d'exercer son prophétisme. Il y a plusieurs raisons d'écarter cette objection. Tout d'abord, il y aurait tout un travail à faire pour savoir qu'est-ce qui est historiquement de Jésus dans les paraboles des évangiles. Il semble qu'il y ait au moins autant d'inventions ou de transformations de l'Eglise primitive que de choses authentiques de Jésus. D'autre part, pour celles qu'il a effectivement dites, il ne s'agit pas d'histoires racontées pour le plaisir ou pour charmer l'entourage, mais d'une stratégie de communication ou d'une méthode pédagogique, appelons ça comme on voudra : dans la mesure où il ne parvient pas forcément à se faire comprendre par des discours, Jésus essaie par des histoires ; il n'est pas sûr que cela ait mieux réussi. Il faut aussi tenir compte d'une certaine violence de certaines paraboles : elles choquent, elles interpellent, parfois elles piègent l'interlocuteur et le mettent dans une situation inconfortable, tout le contraire de ce que ferait un 7. Enfin certaines de ces histoires dérangent et interrogent parce qu'elles défient trop la logique. Je sais qu'en tant que 7, j'ai souvent beaucoup de mal avec certaines paraboles.

 

La dernière objection que je vois est plus dérangeante. Jésus s'est montré en fait un remarquable organisateur, sinon le christianisme n'existerait pas. Le mouvement de Jean-Baptiste n'a pas subsisté longtemps après son exécution parce qu'il n'avait rien organisé. Mais celui de Jésus a subsisté parce qu'il avait mis en place des choses structurées, créant des conditions de durabilité. D'une part, Jésus a créé des marques d'identité qui distinguaient ses disciples des autres : l'interdiction du jeûne, la convivialité joyeuse et les repas partagés avec les personnes de mauvaise réputation, et surtout une prière particulière qui a si bien réussi qu'elle est toujours "la prière du Seigneur" pour tous les chrétiens. D'autre part, il a appelé et structuré ses disciples de manière à la fois forte et symbolique. De plus, il a su constituer autour de lui tout un réseau de sympathisants et d'ami(e)s qui constituaient le groupe de soutien et de logistique de son mouvement. Cela en deux ans, trois au maximum. Ce n'est pas parce qu'il pensait disparaître rapidement, au contaire je pense qu'il a dû plutôt être surpris de se trouver si tôt pris dans la nasse, mais c'est parce qu'il pensait qu'il y avait dans sa perspective un gros travail à faire, nécessitant beaucoup de collaborations, pour préparer la venue du royaume de Dieu. Quoi qu'il en soit, une répression du centre mental n'empêche pas nécessairement d'avoir quand même un assez bon mental.

 

Il faut voir aussi s'il y a des raisons de considérer qu'il réprime plutôt un autre centre que le mental.

 

Y a-t-il des raisons de penser qu'il peut réprimer l'émotionnel ? Je n'en vois qu'une possible, qui s'accorderait plutôt alors avec une préférence du mental : c'est un certain besoin de retrait qui se manifeste parfois chez lui. Il y a une première interprétation, qui est aussi primaire : Jésus se sent parfois oppressé par son succès, par la foule qui l'entoure, par les évènements qui se bousculent, alors se manifeste une sorte de ras-le-bol. Physiquement, ce retrait est parfois nécessaire : une fois, il se trouve sur le rivage avec une foule qui l'entoure et à qui il voudrait s'adresser. Il monte alors dans une barque et demande au propriétaire de s'éloigner de quelques mètres du rivage pour avoir le recul lui permettant d'enseigner cette foule.

 

La deuxième interprétation, c'est qu'il ressent le besoin de faire le point. Le ministère prophétique dans lequel il s'est engagé apporte peut-être des choses qui sont inattendues pour lui. Il peut avoir le sentiment qu'il est parti dans une aventure qu'il ne maîtrise pas complètement. Il a donc besoin de moments pour chercher à comprendre ce qui se passe. Lorsqu'il se retire avec ses disciples à Césarée de Philippe, selon Matthieu et Marc, ou dans un endroit à l'écart selon Luc, c'est pour les sonder sur ce que les gens, puis eux-mêmes pensent de lui (là ça sent plus la préférence émotionnelle).

 

La troisième interprétation est plus spirituelle: il se retire pour prier, pour entretenir une relation à Dieu, avec celui qu'il appelle son Père.

 

Les trois interprétations s'appliquent selon les cas.

 

Sinon, Jésus est quelqu'un d'actif et de réactif. Il prend l'initiative. Ses colères ne sont pas complètement occultées par les évangiles. Lorsqu'il se fait prier pour agir, notamment devant des demandes de "miracles", c'est parce qu'il ne veut pas accéder à la sollicitation.

 

Y a-t-il des raisons de penser qu'il peut réprimer l'instinctif ?

 

Encore moins. Parfois il manifeste une certaine brutalité ou de l'agressivité. Par exemple, en Marc 1, 40-44, après avoir guéri un lépreux parce qu'il avait été "pris de pitié", il s'irrite aussitôt contre lui et le renvoie. Il manifeste beaucoup de fermeté avec les "esprits mauvais" et les menace. Il enjoint régulièrement avec force menaces aux disciples ou aux guéris de ne pas parler de lui.

 

Mais les évangiles disent plus souvent que Jésus est pris de pitié ou qu'il aime ou se met à aimer telle ou telle personne.

 

Bon, répression du mental donc, le plus probablement, sans avoir d'absolue certitude. Cela signifierait pour l'instant qu'il pourrait être 6 alpha ou mu, 1 alpha, 2 alpha, 4 mu ou 8 mu, sans négliger 3 alpha ou 9 mu qui co-répriment le mental.

 

C'est ma réflexion pour l'instant. A plus,

Jean-Jacques

7 mu, aile 6, C++/- S= X-

"Fais que chaque jour ait la chance de devenir le plus beau jour de ta vie" (Mark Twain)

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Bonjour Jean-Jacques,

 

Je ne vais pas beaucoup participer à cette discussion. Je n'ai pas la compétence voulue et je n'ai ni le temps, ni l'envie de me replonger dans les textes.

 

De plus, comme je le disais dans la conversation "Ennéatype d'un système spirituel et ennéatype de son fondateur", je pense que cette recherche est illusoire. En effet, je ne vois pas ce qui te permet de dire que tel passage des évangiles a une réalité historique et tel autre non. :perplexe: Le figuier oui, la femme hémorragique oui (malgré les versions divergentes), l'enseignant pas vraiment. Quels sont les critères ? (Je sais, je devrais lire Meier… mais les critères habituels ne me convainquent guère. :wink:)

 

Un bon exemple de cela est l'histoire du figuier. Tu dis : "un jour, il voit un figuier, et, ayant faim, il s'approche pour voir s'il y a des figues. Il n'en trouve pas pour une bonne raison : ce n'est pas le temps des figues. Cela ne l'empêche pas de maudire le figuier." Je connais bien cet épisode qui est raconté deux fois dans les évangiles. C'est la version de Marc qui prend bien soin de préciser que "ce n'est pas la saison des figues" !

 

Prendre cet épisode comme historique et comme montrant que Jésus réprime le centre mental, les bras m'en tombent ! Car maudire un figuier parce qu'il ne donne pas de figues alors que cela n'est pas la saison, ce n'est pas réprimer le mental, c'est être débile, et de plus, c'est être incapable de maîtriser sa frustration et sa colère. Bref, ce serait vraiment très très désintégré, avec une préférence pour le 8 ou pour le 7.

 

Bien entendu, l'épisode est probablement uniquement symbolique, le "hors saison" étant une anomalie montrant justement qu'il y a là besoin de s'arrêter et de réfléchir (c'est une méthode classique notamment dans les écrits ésotériques). Il y a plusieurs explications, ma préférée consistant à se rappeler que le figuier renvoie directement à Dionysos…

 

"Bref, Jésus semble en général ne pas réagir de manière logique et rationnelle."

Comme tu l'as dit toi-même plus haut, en une période pré-rationnelle, cela ne prouve pas la répression du centre. (Les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec ces concepts peuvent lire ce message, et ensuite se reporter à la Spirale Dynamique.)

 

"D'autre part, pour celles qu'il a effectivement dites, il ne s'agit pas d'histoires racontées pour le plaisir ou pour charmer l'entourage, mais d'une stratégie de communication ou d'une méthode pédagogique, appelons ça comme on voudra : dans la mesure où il ne parvient pas forcément à se faire comprendre par des discours, Jésus essaie par des histoires ; il n'est pas sûr que cela ait mieux réussi. Il faut aussi tenir compte d'une certaine violence de certaines paraboles : elles choquent, elles interpellent, parfois elles piègent l'interlocuteur et le mettent dans une situation inconfortable, tout le contraire de ce que ferait un 7."

Ah non ! Je suis 7 et utilise depuis mon plus jeune âge des histoires pour enseigner et je les choisis interpellantes pour que les gens les retiennent et aient envie d'y réfléchir.

 

"Enfin certaines de ces histoires dérangent et interrogent parce qu'elles défient trop la logique. Je sais qu'en tant que 7, j'ai souvent beaucoup de mal avec certaines paraboles."

Encore une fois, tu ne tiens pas compte de tes propres avertissements sur la pré-rationalité… Pour revenir à mon cas, qui n'est pas généralisable mais prouve que ce n'est pas incompatible avec le 7, je raconte volontiers des histoires qui défient la logique, là aussi pour pousser à la réflexion (cf. le figuier).

 

Tu devrais lire le livre de Clarence Thomson sur la paraboles des évangiles : Parables and the Enneagram.

 

"Jésus s'est montré en fait un remarquable organisateur, sinon le christianisme n'existerait pas."

Il suffisait qu'il y ait un bon organisateur avec lui qui se charge de cet aspect du boulot. Il y a de nombreuses entreprises où on observe des équipes de ce genre (cf. stage Cycle des organisations).

 

Très cordialement,

Fabien

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Bonjour,

 

"Jésus s'est montré en fait un remarquable organisateur, sinon le christianisme n'existerait pas."

Il suffisait qu'il y ait un bon organisateur avec lui qui se charge de cet aspect du boulot. Il y a de nombreuses entreprises où on observe des équipes de ce genre.

Effectivement, le christianisme est principalement l'oeuvre de Saint Paul ! C'est-à-dire une tendance de la fin du 1er siècle après JC… Tendance qui déplaisait à certains disciples juifs du Christ (qu'on appellera plus tard les judéo-chrétiens et qui s'enfuiront vers Médine en 70 après JC).

 

Pour le reste, le personnage de Jésus n'étant connu que par des récits écrit au minimum 25-30 ans après sa crucifiction, c'est sans doute, Jean-Jacques, autant l'ennéagramme de ses auteurs que celui du Christ que tu y retrouves…

 

Cordialement,

Jorune

Jorune 6 mu,

Lève les yeux, et vois la nuée et la lumière qui s'y déploie…

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  • 3 weeks later...

Bonjour Fabien et Jorune,

 

"Je ne vais pas beaucoup participer à cette discussion."

C'est dommage, car à plusieurs on réfléchit mieux. Je risque d'avoir l'impression de réfléchir dans le vide, et ça risque de tourner court. Mais bon, je ne peux pas t'obliger.

 

"De plus, comme je le disais dans la conversation Ennéatype d'un système spirituel et ennéatype de son fondateur, je pense que cette recherche est illusoire."

Franchement, décourager un brave homme de bonne volonté qui essaie de trouver quelque chose, il y a mieux à faire. Je ne sais pas a priori si cette recherche peut aboutir à un résultat ou pas, mais je pense que c'est plus honnête d'essayer au moins avant de décréter que c'est impossible.

 

"En effet, je ne vois pas ce qui te permet de dire que tel passage des évangiles a une réalité historique et tel autre non...Quels sont les critères?"

Eh bien, il y a des critères d'historicité qui fonctionnent (je ne sais si ce sont les "critères habituels" qui ne te "convainquent guère") :

  1. Le critère d'embarras qui repère, dans les évangiles, les éléments pouvant difficilement avoir été inventés par les premiers chrétiens, en raison de l'embarras ou des contradictions dans lesquels cela les aurait mis (par exemple le baptême de Jésus par Jean, alors même que les chrétiens voulaient considérer Jésus, d'une part comme supérieur à Jean et ne pouvant se soumettre à lui, d'autre part comme sans péché alors que le baptême de Jean était "pour la rémission des péchés").
  2. Le critère de discontinuité qui s'applique aux paroles ou aux actes de Jésus qui ne peuvent dériver ni du judaïsme (ou des judaïsmes) de l'époque de Jésus, ni de l'Eglise primitive (par exemple son refus du jeûne, puisque les Juifs jeûnaient et que les chrétiens ensuite ont également adopté cette pratique).
  3. Le critère d'attestation multiple qui prend en compte les paroles ou les actes qui sont attestées par plus d'une source littéraire indépendante et/ou par plus d'une forme ou d'un genre littéraire. La quasi-unanimité des spécialistes considère que Marc a écrit le premier son évangile, sans qu'on sache s'il a eu une ou plusieurs sources écrites. Plus probablement, il n'avait comme source que des traditions orales. Ensuite, chacun de leur côté, Matthieu et Luc ont utilisé Marc comme source, ainsi, pense-t-on qu'une autre source compilant des paroles de Jésus, dont on n'a aucune trace écrite et qu'on ne peut que reconstituer hypothétiquement : on l'appelle la source Q (de l'allemand Quelle). On considère que Matthieu a pu en plus avoir accès à une source ou un ensemble de sources qui lui sont propres, on l'appelle Má; de même pour Luc, ce qu'on appelle L. Jean de son côté est considéré comme correspondant à une source indépendante des trois autres évangiles. Enfin, on considère que Paul utilise parfois dans ses lettres des paroles de Jésus qui ne sont pas forcément dans les évangiles, ou en tout cas qu'il a reçues de manière indépendante (puisqu'il a écrit avant les évangiles). On a donc en tout six sources littéraires indépendantes: Marc, Q, M, L, Jean, Paul; les trois véritablement importantes sont Marc, Q et Jean, les autres sont secondaires. Ce qu'on appelle forme ou genre littéraire, c'est par exemple : discours, parole isolée, parabole, controverse, récit de miracle, prophétie, aphorisme, etc. (Par exemple, le fait que l'on présume que Jésus a rendu la vue à des aveugles au cours de son existence est confirmé par une parole de Q et par des récits qui se trouvent à la fois dans Marc et dans Jean, ce qui fait trois sources indépendantes et deux genres littéraires.)
  4. Le critère de cohérence intervient seulement après que d'autres critères ont permis d'isoler une certaine quantité de matériaux historiques. Il permet de dire que d'autres paroles et actes de Jésus qui s'harmonisent bien avec cette "base de données" ont aussi une bonne chance d'être historiques.
  5. Le critère du rejet et de l'exécution de Jésus : on considère que la physionomie générale de la vie de Jésus doit nécessairement être en accord avec le fait qu'il a été arrêté, jugé sommairement et exécuté aussitôt par le supplice romain de la crucifixion. On en déduit que toute parole ou action attribuée à Jésus dans les évangiles a plus de chances d'être historique si elle est en cohérence avec ce fait ou, mieux encore, si elle contribue à l'expliquer. A l'inverse, un Jésus gentil et baba cool, un Jésus dont les paroles et les actes sont supposés n'être une menace pour personne, ni une cause de poursuite par les autorités, ne peut pas être le Jésus historique.

Certains utilisent encore d'autres critères comme les traces d'araméen dans les paroles de Jésus (prononcées par lui dans cette langue mais écrites en grec dans les évangiles) ou les échos du milieu palestinien qui fut celui de Jésus, ou d'autres encore plus fragiles ou plus sujets à caution. A mon avis, ils ne peuvent être considérés que comme critères secondaires, pouvant au mieux renforcer ou confirmer des points déjà établis par les critères principaux. Tous ces critères sont de toute façon critiquables en quelque manière ; ils sont à utiliser avec doigté et discernement, car utilisés de manière trop carrée ou trop unilatérale, ils risquent d'aboutir à des aberrations. On considère que pour qu'un élément soit établi comme historique, il est préférable qu'il réponde à au moins deux des cinq critères principaux. Tout cela n'est pas mathématique, mais les historiens, qui ne sont pas des mathématiciens, n'ont jamais que des moyens de ce genre.

 

Mais l'histoire du figuier me donne l'occasion de préciser un peu plus ma démarche. Réglons d'abord un point de détail : Matthieu a ici Marc pour unique source, donc si Marc prend bien soin de préciser que ce n'était pas la saison des figues, il en résulte que Matthieu prend bien soin de supprimer cette notation, qui l'embête sans doute.

Tu dis : "Prendre cet épisode comme historique et comme montrant que Jésus réprime le centre mental, les bras m'en tombent !" Ne laisse pas tes bras tomber, tu en as bien besoin ! Je dois préciser ici que mon travail ne peut pas seulement consister à chercher à savoir si tel ou tel passage des évangiles a une réalité historique ou pas. Il me faut bien plus savoir si tel ou tel trait de personnalité, ou telle ou telle réaction caractéristique, attribué(e) à Jésus peut ou non être considéré(e) comme appartenant au Jésus historique. Que cette histoire de figuier soit inventée, j'en conviens, mais j'isole le motif de la malédiction et je me demande si cette brique élémentaire de la construction de l'histoire ne peut pas remonter à une façon d'être du Jésus historique. L'histoire ayant ensuite été composée en "accrochant" ce motif ou en se construisant autour de lui. De même, pour l'épisode de la femme hémorragique, je ne me prononce pas sur l'historicité globale de cette histoire : il n'y a tout simplement pas assez d'éléments pour décider, pour ou contre, selon les critères (les divergences des versions ne sont pas un critère de non-historicité puisque de toute façon les trois versions viennent d'une seule et même source, Marc ; ce sont donc les rédacteurs finaux qui introduisent des différences sur un même fond ; c'est plutôt l'unicité de source qui justement pose problème). Mais j'isole le motif où Jésus demande qui l'a touché alors que tout le monde le touche, car cet élément-là n'est pas intrinsèquement lié à cette histoire-là ; il pourrait tout aussi bien se rattacher à autre chose.

 

Pour en revenir au figuier, de fait, Geza Vermes, le grand spécialiste anglais du judaïsme et du christianisme anciens, notamment de Qumrân et de Jésus, considère que cette malédiction est une "inconséquence" qui ne peut être attribuée à l'évangéliste" (L'évangile des origines, Bayard, Paris, 2004, p. 441) et en conclut qu'elle appartient au Jésus historique. Cependant cet auteur considère même que l'ensemble du contexte est historique parce que, "'après Flavius Josèphe, les figuiers produisaient du fruit dix mois sur douze dans la région du lac de Galilée. Jésus avait du oublier qu'à Jérusalem le climat était moins clément. C'était vraiment beaucoup demander à un figuier judéen !" (id. p. 45). Effectivement cela rend Jésus un peu moins "débile", mais je pense qu'on ne peut pas le suivre sur ce point. Tout simplement parce qu'il y a une deuxième partie qui est intrinsèquement liée à celle-ci : la constatation le lendemain que le figuier est desséché !

 

L'ensemble du chapitre 11 de Marc contient une trame historique composée de trois éléments qui formaient à l'origine un seul bloc : l'entrée de Jésus à Jérusalem quelques jours avant la Pâque, l'expulsion des vendeurs du Temple et une controverse avec les dirigeants du Temple sur la légitimité de Jésus pour avoir fait cela. Cet ensemble s'est transmis oralement depuis le début dans les milieux chrétiens, non (sans doute) sans transformations en cours de route. A un moment donné, quelqu'un a inséré en plus l'histoire du figuier en deux parties : la constatation de l'absence de fruits et la malédiction juste avant le récit de la "purification" du Temple, la constatation du desséchement de l'arbre le lendemain, juste après ce même récit. Pourquoi ? Ce rédacteur intermédiaire (si c'est un rédacteur, ce n'est peut-être qu'un transmetteur de tradition orale) a voulu orienter l'interprétation de l'épisode du Temple dans un certain sens. Il voulait dire que le geste de Jésus n'était pas à comprendre comme une réaction de "nettoyage" devant une situation où les intérêts mercantiles se mélangeaient au culte du Temple, mais comme une annonce prophétique de la fin à venir de ce système du Temple, celui-ci ayant cessé de porter du fruit et d'avoir son utilité dans le contexte du règne de Dieu. De fait, le thème de la malédiction de la vigne et du figuier, de leur stérilité et de leur dépérissement est un grand classique du prophétisme biblique, pour annoncer un jugement de Dieu, une intervention de Celui-ci lorsque son peuple cessait de porter du fruit et n'était pas fidèle au monothéisme yahviste. On le trouve chez Isaïe, Jérémie, Osée, Joël, Amos, Habaquq, Aggée.

 

Marc a reçu cet ensemble ainsi constitué, mais n'a rien compris à cette histoire du figuier. (Au moment de la rédaction de son évangile, Jérusalem et son Temple ont été rasés par les Romains) Il ajoute à la deuxième partie de l'histoire, peut-être pour faire plus vraisemblable, trois phrases en chapelet venues d'ailleurs et n'ayant rien à voir, au sujet de la foi, de la prière et du pardon. C'est peut-être lui aussi qui a ajouté la mention que ce n'était pas la saison des fruits, mais celle-ci pouvait aussi se trouver dans la version originale, on ne peut pas savoir. Tu pourras, si tu veux m'expliquer l'histoire de Dionysos, je manque de culture pour comprendre ton allusion, mais il me semble que l'explication en interne est suffisante.

 

Tout cela m'amène à dire que j'ai effectivement peut-être eu tort d'invoquer l'inconséquence de cette malédiction du figuier pour abonder dans le sens d'une répression du mental. Certes, si on considère que cette "inconséquence" a difficilement pu être inventée par l'évangéliste pour cause d'embarras, il en est de même pour l'inventeur de l'histoire du figuier. Sauf s'il savait que les "inconséquences" manifestées par Jésus ne l'étaient pas "par nature", mais comme une façon de prophétiser. Jérémie, par exemple, a aussi utilisé des actions paradoxales pour frapper et interpeller ses contemporains.

 

Pour ce qui concerne les paraboles, je ne parle pas seulement ici de gentilles histoires défiant la logique, destinées à faire réfléchir. Je parle de paraboles suivies par une question, par exemple celle-ci. Un jour, il est invité chez son ami Simon, un Pharisien (oui, il avait aussi des amis Pharisiens). Comme il était à table arrive une prostituée qui se met à ses pieds (ce devait être un repas "couché" selon la coutume des banquets de l'époque), elle pleure sur eux, les baise, les parfume. Simon est choqué. Jésus lui dit la parabole d'un créancier ayant deux débiteurs, l'un devant dix fois plus que l'autre, mais tous les deux étant insolvables. Finalement il remet leur dette aux deux. Jésus pose la question : lequel des deux l'aimera le plus ? Simon répond évidemment que c'est celui à qui il a remis la plus grande dette, mais le voilà coincé, car ainsi il s'est mis dans le rôle de celui qui aime le moins parce qu'il a moins à se faire pardonner. A mon avis Jésus n'a pas été réinvité dans cette maison (Luc 7, 36-50). Une autre est du même acabit. Un homme avait deux fils, à qui il demandai d'aller travailler à sa vigne. Le premier refusa, mais se ravisa et y alla ; le second dit oui , mais n'y alla pas. La question suivante est posée au personnel du Temple (grand-prêtre compris ?) et aux "anciens du peuple" : lequel des deux a fait la volonté de son père ? Ils répondent bien entendu : le premier. Or le premier représente les collecteurs d'impôts et les prostituées qui les "précèdent dans le Royaume de Dieu" parce qu'ils se sont convertis à la prédication de Jean-Baptiste, alors que ces "autorités" ne l'ont pas fait (Matthieu 21, 28-32).

De même, je pense que raconter à un public de Juifs pieux l'histoire du Samaritain compatissant où le prêtre et le serviteur du Temple, personnages si respectés, jouent le rôle des "méchants" et où un membre de cette communauté si honnie joue le rôle du "bon", n'a pu que susciter quelques réactions vives (Marc 12, 1-12 ; Matthieu 21, 33-46 ; Luc 20, 9-19).

Il me semble qu'il y a une différence importante entre raconter des histoires aux gens pour les faire réfléchir et leur en raconter pour les mettre, plus que dans l'embarras, en accusation. Je ne pense pas que ça plaide en faveur d'un centre mental préféré, mais je peux me tromper.

 

"Effectivement, le christianisme est principalement l'oeuvre de Saint Paul ! C'est-à-dire une tendance de la fin du 1er siècle après JC…"

Jorune, premièrement Fabien et moi parlions de l'organisation du vivant de Jésus. Deuxièmement Paul n'est pas de la fin du premier siècle de notre ère : il est mort exécuté à Rome probablement en 64 et il a écrit ses oeuvres entre 50 et 58. Troisièmement dire que le christianisme est principalement l'oeuvre de Paul est un énorme simplisme. Je ne conteste pas qu'il ait eu une grosse part dans l'affaire, mais c'est beaucoup plus compliqué que ça. D'abord, pour que le christianisme existe, il faut nécessairement des gens qui ont connu Jésus et ont été proches de lui, voire ont été ses disciples de son vivant (et Paul ne l'a pas été), sinon le christianisme n'aurait aucune référence à Jésus. Cela aurait pu se concevoir, mais ce n'est pas le cas. Dès le départ, il est clair qu'il y avait une multitude de groupes et de communautés de gens qu'on appelait chrétiens. Les communautés pauliniennes n'étaient pas nécessairement majoritaires, les communautés judéo-chrétiennes avaient aussi leur place, mais il y avait aussi des communautés qui relevaient plus de Pierre et des Douze, et des communautés dites johanniques, d'où sortira l'évangile de Jean, et peut-être d'autres encore. Les débats entre elles ont sans doute fait évoluer tout le monde d'une façon ou d'une autre. Paul n'a pas toujours eu gain de cause face à Pierre. En fait, on a si peu de certitudes sur toute cette histoire qu'il me paraît difficile d'accepter une affirmation aussi péremptoire que la tienne.

 

"Tendance qui déplaisait à certains disciples juifs du Christ (qu'on appellera plus tard les judéo-chrétiens et qui s'enfuiront vers Médine en 70 aprèsJC)."[/i

D'où sors-tu une information aussi précise ? A ma connaissance, on fuit devant un danger et non à cause d'une tendance qui déplaît. Les judéo-chrétiens étaient-ils en danger ? Certes, oui, des judéo-chrétiens de Jérusalem ont bien fui en 70 à cause de la répression des Romains et de la destruction de la ville et du temple. Vers Médine ? Peut-être (c'est vraiment la première fois que j'en entends parler), mais on en trouve aussi en Syrie ou ailleurs. On peut seulement constater que tous ces courants judéo-chrétiens en tant que tels ont fini par disparaître d'une manière ou d'une autre (ils renaissent très minoritairement en Israël aujourd'hui). Est-ce par assimilation ? Par isolement ? Parce qu'ils n'ont pas "recruté" et n'ont pas assuré le renouvellement de générations qui leur aurait permis de se pérenniser ? Ou pour d'autres raisons ? De toute façon, ce n'est pas la seule tendance particulière à avoir disparu ; et toutes ces tendances, y compris la judéo-chrétienne, ont quand même laissé leur trace dans le Nouveau Testament. Pour les judéo-chrétiens : l'évangile de Matthieu, l'épître de Jacques. On n'y trouve pas l'hégémonie nette d'un courant sur tous les autres.

 

"Pour le reste, le personnage de Jésus n'étant connu que par des récits écrits au minimum 25-30 ans après sa crucifiction, c'est sans doute autant l'ennéagramme de ses auteurs que celui du Christ que tu y retrouves..."

Tu es optimiste : les récits évangéliques n'ont été écrits, au moins dans leur réaction finale, que 40 à 70 ans après la mort de Jésus. Tu es pessimiste : cela n'empêche pas d'en tirer des faits qui ont une chance raisonnable d'être historiques, et, je l'espère, un portrait raisonnablement probable de Jésus. J'en ai exposé plus haut la méthodologie. Petite précision de vocabulaire : quand je parle de Jésus, je veux parler du Jésus historique ; quand j'entends parler du Christ, je comprends qu'il s'agit de Celui qui est l'objet de la foi des chrétiens puisque c'est comme cela (entre autres dénominations) qu'ils l'appellent. Je ne cherche pas ici l'ennéagramme du Christ, qui me semble se confondre avec celui du christianisme.

J'ai tendance à penser que les évangiles traduisent peu la personnalité de leurs "auteurs", parce que ces "auteurs" ne sont en fait que des compilateurs de diverses sources orales et/ou écrites et des rédacteurs "finaux" de ces ensembles. Par contre, ils parlent peut-être davantage de leur "milieu de vie", c'est-à-dire de la communauté chrétienne ou du courant chrétien dans lequel chaque évangile a été élaboré et/ou à qui il était destiné.

 

Comme j'ai été frustré de ne pouvoir poster ce message plus tôt à cause de la fermeture du forum, je rajoute les réflexions que j'ai eu le temps de faire dans l'intervalle et qui me font penser que Jésus avait un instinctif visible, mais aussi un émotionnel visible.

 

Pour l'instinctif :

 

D'abord, comme on l'a vu, c'est un actif. Il prend l'initiative, il cherche à avoir un impact.

 

Il est concerné par la colère. Il faut cependant ici faire très attention car, à vrai dire, la seule fois où la colère est explicitement mentionnée comme telle, c'est dans Marc 3, 5, dans un récit de guérison dans une synagogue un jour de sabbat. Il y a là un homme à la main "desséchée", et Jésus le fait venir au milieu, demandant publiquement : "Ce qui est permis le jour du sabbat, est-ce de faire le bien ou de faire le mal ? De sauver un être vivant ou de le tuer ?" Et le récit poursuit : "Mais eux se taisaient. Promenant sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur coeur, Jésus…" Cela vient de la source propre à Marc, ou de Marc lui-même, et n'a pas été repris par Matthieu et Luc. Telle qu'elle est racontée, cette controverse n'est très probablement pas historique, car elle reflète davantage les relations tendues entre les chrétiens et les Juifs quelques décennies après Jésus, quand les positions s'étaient durcies, que l'époque de Jésus où on admettait relativement facilement la possibilité d'actions de secours et de soin le jour du sabbat, surtout dans le milieu rural galiléen où cet épisode est situé. Mais cela ne signifie pas que Jésus n'ait jamais jeté un regard de colère sur son auditoire.

D'une manière générale, sur la question de l'instinctif, il convient certainement d'éviter, pour établir un point précis, de faire appel uniquement aux paroles ou actes qui ne sont attestés que par la source "Marc", s'il est vrai que cet évangile tend plutôt à décrire un Jésus de type 8.

Mais il y a des invectives attestées par Matthieu 11, 20 "contre les villes où avaient eu lieu la plupart des miracles, parce qu'elles ne s'étaient pas converties", suivies de malédictions, rapportées à la fois par Matthieu et Luc, contre Chorazin, Bethsaïde et Capharnaüm, qui, au jour du Jugement, seront traitées plus sévèrement que Tyr, Sidon ou Sodome ! On perçoit un ressentiment lié à cette profonde déception ou sentiment d'échec(?).

Invectives encore contre "cette génération mauvaise et adultère qui réclame un signe" (Matthieu 12, 39 ; 16, 4 et parallèles), ou celle qui doute : "Génération adultère et pervertie, jusqu'à quand serai-je avec vous ?" (Matthieu 17, 17)

Invectives contre les pharisiens traités d'hypocrites en Matthieu 15, 7 et Marc 7, 6, Matthieu 22, 18 et toute une série de malédictions en Matthieu 23 et Luc 11, 39-44. Toutes ne remontent pas au Jésus historique, mais quand même un certain nombre. Même un chef de synagogue (Luc 13, 15) et la foule (Luc 12, 56) sont traités d'hypocrites.

 

Jésus est concerné par le pouvoir et l'autorité (grec exousia). Les gens étaient "frappés de son enseignement car il les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes" (Matthieu 7, 28-29 ; Marc 1, 22 ; Luc 4, 32). Ils se disent : "Voilà un enseignement nouveau, plein d'autorité !" (Marc 1,27), ou encore: "Qu'est-ce que cette parole ! Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent." (Luc, 4, 36)

Il revendique un pouvoir qui n'est attribué qu'à Dieu seul : "Le Fils de l'homme a sur la terre autorité pour pardonner les péchés." (Matthieu 9, 6 et 8 ; Marc 2, 10 ; Luc 5, 24). Lorsqu'il envoie les Douze en mission, il leur donne "pouvoir de chasser les démons" (Marc 3,15) ou "autorité sur les esprits impurs." Luc y ajoute la puissance (dynamis) (Matthieu 10, 1 ; Marc 6, 7 ; Luc 9, 1)

 

La dialectique pouvoir/service est présente dans son enseignement aux Douze : "Vous le savez, ceux qu'on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il n'en n'est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu'un veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur… Car le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir." (Matthieu 20, 25-28 ; Marc 10, 42-45 et sous une formulation différente Luc 22, 24-27)

 

Après la "purification" du Temple (les marchands chassés violemment), a lieu avec "les grands prêtres, les scribes et les anciens" une controverse au sujet de l'autorité de Jésus : "En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? Ou qui t'a donné autorité pour le faire ?" Jésus oppose une contre-question comme condition à sa réponse. Cette question, concernant Jean-Baptiste et son baptême, embarasse ses interlocuteurs, qui finissent par répondre qu'ils ne savent pas. "Moi non plus, je ne vous dis pas en vertu de quelle autorité je fais cela." On voit là un contrôle. Si Jésus avait répondu directement qu'il faisait cela par l'autorité de Dieu son Père, ce qui manifestement était sa conviction, il se serait trouvé empêtré dans une polémique sans fin où les conceptions de Dieu étaient trop éloignées pour parvenir à un accord. Il préfère donc trouver un moyen pour éluder la question. Il fait cela plusieurs fois, notamment lorsqu'il flaire un piège, comme lorsqu'on lui pose la question de la légitimité ou non de payer l'impôt à "César".

 

Jésus est dans un dualisme fort entre le bien et le mal. Il y a un antagonisme fort entre le royaume de Dieu et le royaume de Satan. Lui même est en guerre contre la puissance maléfique, qu'elle s'appelle Satan, le ou les démon(s), les esprits mauvais ou impurs, qui sont une fois "Légion", le diable ou Béelzéboul. Il a autorité et pouvoir sur les esprits mauvais, et il les transmet même à ses disciples, du moins certains d'entre eux. Il use de cette autorité, dès qu'il les rencontre; il les menace, et ils sortent : pour le possédé de la synagogue de Capharnaüm en Marc 1, 25 ; Luc 4, 35; pour l'enfant épileptique en Matthieu 17, 18 ; Marc 9, 25 ; Luc 9, 42 ; ou pour un grand nombre en Luc 4, 41. Curieusement, la fièvre de la belle-mère de Simon est considérée par Luc (4, 39) comme une force diabolique et Jésus la menace aussi. Dans la pratique, ces exorcismes peuvent être ramenés à des guérisons de maladies psychiques ou même simplement somatiques à conséquences psychiques comme l'épilepsie, mais Jésus, comme tout le monde à son époque, les considère comme des possessions et il les traite comme telles par des actes de puissance et d'autorité.

Dans une polémique où Jésus est lui-même assimilé aux forces du mal, certains pharisiens prétendant qu'il chasse les démons "par Béelzéboul, le chef des démons". Jésus répond : "Comment Satan peut-il expulser Satan ? Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut tenir." Et il ajoute dans une tradition commune à Matthieu et Luc, et absente de Marc : "Mais si c'est par l'Esprit (ou en Luc : le doigt) de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre." (Matthieu 12, 22-28 ; Marc 3, 22-26 ; Luc 11, 14-20)

 

On peut ajouter d'autres manifestations d'autorité et de recherche de contrôle de la part de Jésus : très souvent, il rudoie sévèrement les personnes guéries en leur commandant "que personne ne le sache" : deux aveugles en Matthieu 9,30 ; un lépreux en Marc 1, 43-44 ; "beaucoup" en Matthieu 12, 16. Avec la même sévérité, il commande aux esprits impurs de ne pas le faire connaître (Marc 3, 12), et la même chose à se disciples, après qu'ils aient reconnu en lui le Messie (Marc 8, 30; Luc 9, 21). Une fois, il "oblige" ses disciples à monter dans une barque (Matthieu 14, 22 ; Marc 6, 45). Enfin, il faut évoquer l'épisode où il chasse les marchands du Temple.

 

Pour l'émotionnel :

 

On voit peu dans les évangiles Jésus exprimer directement une émotion, mais les évangélistes rapportent souvent narrativement ces émotions :

  • la pitié, ou mieux, la compassion est celle qui intervient certainement le plus souvent, avec le verbe grec splanchnizein qui dérive du mot "intestins". On traduit de diverse façons : être pris de pitié, pris aux entrailles, ému aux entrailles, ému de compassion. C'est ce qui arrive quand un lépreux vient demander à Jésus de le "purifier" (Marc 1, 41), lorsqu'il se trouve en face d'une grande foule imprévue "parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger" (Matthieu 9, 36 et 14, 14 ; Marc 6, 34; voir aussi Matthieu 15, 32 et Marc 8, 2), lorsque deux aveugles à Jéricho lui demandent que leurs yeux s'ouvrent (Matthieu 20, 18) ou encore pour une veuve venant de perdre son fils unique dans la ville de Naïn (Luc 7, 13). D'autres que Jésus, dans les récits bibliques, sont réputés avoir réalisé des actes d'altruisme et de puissance "miraculeuse" du même genre que lui, aussi bien dans le Premier Testament, avec le prophète Elie ressuscitant le fils de la veuve chez qui il séjourne, son successseur Elisée ressuscitant (récit très ressemblant) le fils de la Shounamite chez qui il demeure de temps en temps, ou guérissant le Syrien lépreux Naaman à distance, sans même le voir en lui disant d'aller se baigner dans le Jourdain, que dans les Actes des Apôtres où Pierre guérit un infirme à la "Belle Porte" du Temple, un paralytique à Lydda, ressuscite une femme à Joppé ; où Paul guérit aussi un infirme, ressuscite un jeune homme mort, etc. Dans aucun de ces récits, il n'est question d'un quelconque sentiment exprimé par le thaumaturge ; il s'agit d'actes de puissance. C'est seulement dans le cas de Jésus que ces actes cont connotés comme des actes de compassion. De même, il n'y a aucun cas de sentiment de pitié devant une foule en dehors de Jésus.
  • l'admiration s'empare de Jésus devant la foi d'un centurion romain (Matthieu 8, 10; Luc 7, 9)
  • l'étonnement s'exprime par le même verbe que l'admiration, mais pour une chose négative : "Il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas" (Marc 6, 6)
  • le chagrin et le trouble se manifestent chez Jésus à la mort de son ami Lazare : "Lorsqu'il les vit se lamenter… Jésus frémit intérieurement et il se troubla… Alors Jésus pleura." (Jean 11, 33 et 35)
  • la déception est manifestée à plusieurs reprises par Jésus devant le fait que les gens ne répondent pas comme il le souhaiterait à sa mission prophétique : "A qui donc vais-je comparer les hommes de cette génération ? Ils sont comparables à des enfants assis sur la place et qui s'interpellent les uns les autres en disant : nous vous avons joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé; nous avons entonné un chant funèbre, et vous n'avez pas pleuré." (Luc 7, 31-32 ; Matthieu 11, 16-17). La lamentation est particulièrement accentuée vis-à-vis de Jérusalem : "Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses enfants sous ses ailes, et vous n'avez pas voulu !" (Matthieu 23, 37 ; Luc 13,34) ; "Quand il approcha de la ville et qu'il l'aperçut, il pleura sur elle." (Luc 19, 41)
  • l'amour s'empare de Jésus à la rencontre d'un homme qui a observé les commandements dès sa jeunesse et qui voudrait faire plus : "Jésus le regarda et se prit à l'aimer" (Marc 10, 21 ; Jésus lui pose alors, sans succès, des exigences radicales qu'il semble n'avoir jamais demandé à aucun de ses disciples pour le suivre). Ce même sentiment est signalé à propos de son ami Lazare, à propos de qui on annonce à Jésus : "celui que tu aimes est malade" (Jean 11, 3), en précisant plus loin : "Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare" (Jean 11, 5). Après la mort de Lazare, à la vue de l'émoi et des pleurs de Jésus, certaines personnes de l'assistance s'exclament, selon le quatrième évangile : "Voyez comme il l'aimait !" (Jean 11, 36). Enfin, à partir des préliminaires de la Passion, apparaît dans l'évangile de Jean, un mystérieux "disciple que Jésus aimait".

On peut sans nul doute discuter dans le détail de l'historicité de plusieurs de ces observations, mais à moins de supposer un complot généralisé de toutes les traditions en vue de présenter un certain tableau unilatéral des réactions émotionnelles et des sentiments de Jésus, il est difficile de rejeter totalement l'impression d'ensemble.

 

On ne peut que souligner l'importance du relationnel pour Jésus. Une chose frappante est son attachement, qui a choqué, à la convivialité et à la communauté de table. Il acceptait toutes les invitations, d'où qu'elles viennent. Ce qui le motive, ce n'est pas la gastronomie, c'est le partage du repas avec d'autres.

 

Il semble avoir une compréhension intuitive d'autrui et est orienté vers la perception des besoins et des désirs des autres. Il fréquente tout le monde, mais prioritairement les "mal-portants" de toutes sortes et les mal considérés, les catalogués "pécheurs", parce que "ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades." (Matthieu 9,12 ; Marc 2, 17 ; Luc 5, 31). "Il guérissait ceux qui en avaient besoin" (Luc 9,11), et à la Cananéenne, il déclare : "Qu'il t'arrive comme tu le veux !" (Matthieu 15, 28)

 

Il perçoit les sentiments et les pensées profondes des gens. Par exemple, dans l'épisode du paralysé à Capharnaüm, "sachant ce qu'ils pensaient, Jésus dit : Pourquoi ces pensées mauvaises dans vos coeurs ?" (Matthieu 9, 4 ; voir Marc 2, 8 ; Luc 5, 22). Ou encore dans la polémique sur Béelzéboul, en Matthieu 12, 25 ; Luc 11, 17 ; et dans des occurrences propres à Luc (6, 8 ; 9, 47). Il s'adapte aux autres et à leurs réactions ; c'est souvent ce qui lui fait changer de plan et d'objectif.

 

Il est préoccupé de son identité et de son image. Il utilise l'expression originale de "Fils de l'homme" pour se désigner lui-même. Il est inquiet de savoir comment les gens, et surtout ses disciples, le perçoivent. Un jour, il rassemble ses disciples à l'écart pour leur poser justement ces deux questions : que pensent les gens de lui ? Et eux, qu'en disent-ils ? Il semble que les disciples avaient peu à peu acquis la conviction qu'il pouvait être le Messie attendu par Israël, et ils lui en font part. Jésus a d'abord été effrayé par cette idée et il réclame avec véhémence qu'on ne parle pas de ça. Mais cette conjecture n'a pas pu ne pas le travailler et l'interroger.

 

L'enseignement de Jésus fait aussi une large place à l'amour, au pardon, à la compassion :

  • à l'amour, qui est le plus grand "commandement" (Matthieu 22, 34-40 ; Marc 12, 28-34 ; cf Luc 10, 25-28). Ici, Jésus semble ne pas innover, puisqu'il ne fait que reprendre des commandements de l'Ancien Testament, tant pour l'amour du "Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force" (Deutéronome 6, 5) que pour celui du "prochain comme toi-même" (Lévitique 19, 18). Mais sa contribution consiste justement dans le fait de les rapprocher pour en faire un seul, et d'établir une équivalence entre l'amour de soi-même, du prochain et de Dieu. Par ailleurs, il y ajoute l'amour des ennemis (Matthieu 5, 38-47 ; Luc 6, 27-35).
  • au pardon : il l'enseigne à ses disciples en leur apprenant la prière du "Notre Père" (Matthieu 6, 12 et 14-15 ; voir aussi Marc 11, 25). Il les invite à le faire sans regarder au nombre des offenses (Matthieu 18, 21-22 ; Luc 17, 4). La parabole dite "du débiteur impitoyable" en Matthieu se conclut ainsi : "C'est ainsi que mon père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du coeur" (Matthieu 18, 35).
  • à la compassion, notamment dans les paraboles dites de la miséricorde : celle du "bon Samaritain" (Luc 10, 30-37), celle de l'homme qui avait deux fils (Luc 15, 11-32). La parabole du figuier stérile en Luc 13, 6-9 traduit également la sollicitude du vigneron qui ne veut pas condamner trop vite son figuier, mais veut continuer à le soigner.

On peut au moins conclure que le règne de Dieu que Jésus proclame et annonce semble fortement lié à une vie relationnelle d'une certaine qualité empathique et/ou compassionnelle.

 

Bon, après tout ça, je reste très circonspect, surtout pour ce qui concerne l'instinctif :

  • Les invectives, les controverses, les malédictions ne relevaient peut-être que de sa manière de prophétiser. Depuis les prophètes Amos et Osée, la dénonciation virulente et enflammée était une tradition rhétorique reconnue et appréciée dans le judaïsme. Et Jésus se situait lui-même dans cette veine et cette lignée prophétique. De plus, il y a là quelque chose de culturel : ce genre d'affrontement était la manière typique de discréditer ses adversaires dans le monde méditerranéen ancien. Il était, en particulier, caractéristique des attaques en tout genre que se lançaient les divers groupes et courants religieux juifs avant et au début de notre ère.
  • Le dualisme ne relevait peut-être aussi que de ce même prophétisme. Ou bien n'était-il que culturel. Ou les deux.

Je tendrais finalement à penser Jésus préférait le centre émotionnel, même si je reconnais que c'est fragile. Je ne vois pas plus clair pour l'instant. Je ne sais pas si j'arriverai à en dire plus. On verra.

 

Bien amicalement,

Jean-Jacques

7 mu, aile 6, C++/- S= X-

"Fais que chaque jour ait la chance de devenir le plus beau jour de ta vie" (Mark Twain)

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