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Trois couleurs : Rouge
Analyse

Le Juge (Jean-Louis Trintignant) : 5

  Valentine : Qui êtes-vous ?
  Le Juge : Un juge à la retraite.

Le Juge. Le personnage joué par Jean-Louis Trintignant n’a pas de nom mentionné au générique et même Valentine ne le prononcera jamais. Quel meilleur moyen pourrait-il y avoir d’en symboliser la sécheresse émotionnelle ?

Dès sa première apparition, Le Juge montre son indifférence pour les êtres et s’exprime de la façon concise et factuelle habituelle au 5 :

  Valentine : Excusez-moi. Je… La porte était ouverte. Je suis désolée. Je pense que j’ai écrasé votre chien.
  Le Juge : [Silence.]
  Valentine : Rita. Un… chien berger.
  Le Juge : C’est possible. Elle a disparu hier.
  Valentine : Elle est sur la banquette arrière de ma voiture, vivante. Je sais pas ce qu’il faut faire.
  Le Juge : [Silence.]
  Valentine : Voulez-vous que je l’emmène chez un vétérinaire ?
  Le Juge : Comme vous voulez.
  Valentine : Si j’avais écrasé votre fille, ça vous ferait le même effet ?
  Le Juge : Je n’ai pas de fille, Mademoiselle. [Silence.] Allez-vous-en.

Son discours est aussi truffé de mots significatifs de la préférence pour le centre mental : "Intéressant", "Je sais", "Intelligente".

Le Juge vit reclus dans sa maison dont apparemment il n’est pas sorti depuis des années : quand à la fin du film il va assister au défilé de mode auquel participe Valentine, il doit recharger la batterie de sa voiture immobilisée dans le garage. Signe de la passion du type, l’avarice, il limite ses besoins autant qu’il le peut :

  Valentine : [Elle tend l’argent qu’elle a reçu par la poste.] C’est vous ?
  Le Juge : Pour le vétérinaire.
  Valentine : Comment avez-vous eu mon adresse ?
  Le Juge : C’était pas bien difficile
  Valentine : Vous connaissez mal les prix. [Elle lui montre la facture.] Les soins ont coûté 130 francs. Vous m’en avez envoyé 600.
  Le Juge : [Il récupère l’argent et veut lui donner l’appoint exact.] Attendez, je vais chercher le reste.
  Valentine : Et pour Rita ?
  Le Juge : C’est une chienne très intelligente. Vraiment. Prenez-la.
  Valentine : Vous ne la voulez pas ?
  Le Juge : Je ne veux rien.
  Valentine : Vous n’avez qu’à arrêter de respirer.
  Le Juge : C’est une bonne idée.

Suite à une déception amoureuse dans sa jeunesse, il s’est coupé le plus possible du monde et des autres :

  Valentine : Est-ce qu’il y a quelqu’un que vous aimez ?
  Le Juge : Non.

Même à la fin du film, alors qu’il s’est avoué son attirance pour Valentine, il reste centré sur lui-même ("À ma santé !") et presque aussi glacial :

  Valentine : Je pars demain. Il faut se dire au revoir.
  Le Juge : [Il lui tend la main. Sa voix reste froide.] Au revoir.

Mais à chaque fois que Valentine le quitte, il est à la fenêtre en train de la regarder tout en essayant de passer inaperçu. Ce double besoin d’être à la fois invisible (sa place au théâtre est choisie à cet effet) et observateur est lui aussi caractéristique du type. Ainsi, Le Juge occupe sa retraite à surveiller ses voisins :

  Valentine : Qu’est-ce que vous faites ?
  Le Juge : J’espionne.
  Valentine : Quoi ?
  Le Juge : J’espionne les conversations téléphoniques de mes voisins. Fallait pas couper. C’était très intéressant.

Le Juge n’utilise rien de ce qu’il apprend ainsi, ni pour le bien, ni pour le mal. Il est convaincu de l’inutilité de toute action : "Qu’est-ce qu’on peut y faire ?" Essayer d’avoir un impact sur les autres est soit impossible, soit inadmissible. En conséquence, son ancien métier lui fait horreur :

  Valentine : Vous étiez quoi ? Flic ?
  Le Juge : Pire. Juge.

Le Juge ne croit guère au libre arbitre. La conduite des gens n’est "pas difficile à deviner", car elle est le résultat de contraintes qui ne laissent la place ni à la morale, ni aux émotions : "Si j’étais à leur place, bien sûr [que je jetterais des pierres]. Et ça concerne aussi tous ceux que j’ai jugés. Avec leur vie, dans leur situation, je volerais, je tuerais, je mentirais. Bien sûr. Tout ça parce que j’étais pas dans leur peau, mais dans la mienne."

Malgré tout, ses écoutes lui permettent de vivre un peu, par procuration et à distance ("Vous n’avez pas écouté. C’est dommage. C’était romantique."). De même, manifestation du mécanisme de défense d’isolation, c’est après les visites de Valentine qu’il en analyse le sens et l’impact qu’elles ont sur lui : "L’autre jour avant de partir, vous avez parlé de pitié. Après je me suis dit que c’était du dégoût." Et il décide en conséquence de se dénoncer.

Comme il ne peut nommer et manifester ses émotions, Le Juge privilégie une expression non verbale, comme quand il quitte Valentine à la sortie du théâtre et qu’il pose sa main à plat sur la vitre de la voiture, espérant qu’elle fera de même de son côté.

Identification avancée : Le Juge est un 5 α à aile 4 de sous-type conservation ("Château fort").

Valentine (Irène Jacob) : 2

Valentine évalue toute chose à l’aune des émotions. Quand elle rencontre Le Juge, elle perçoit immédiatement à quel point il est le contraire d’elle. Elle en est à la fois fascinée et dégoûtée.

Quand elle découvre que Le Juge écoute les conversations de ses voisins, il la met au défi de les prévenir :

  Valentine : Qu’est-ce que vous faites ?
  Le Juge : J’espionne.
  Valentine : Quoi ?
  Le Juge : J’espionne les conversations téléphoniques de mes voisins. Fallait pas couper. C’était très intéressant.
  Valentine : [Silence.]
  Le Juge : Ça n’a pas l’air de vous amuser.
  Valentine : C’est dégoûtant.
  Le Juge : Oui. Et en plus c’est illégal. [Elle s’apprête à quitter la pièce.] Un instant, Mademoiselle ! Vous êtes convaincue d’avoir raison, n’est-ce pas ? Alors pourquoi vous ne faites rien. Allez voir cet homme et dites-lui que quelqu’un écoute ses conversations. Et tant que vous y êtes dites-lui aussi que c’est moi.
  Valentine : J’y vais.
  Le Juge : C’est cette maison.

Mais arrivée chez eux, elle renonce immédiatement quand elle mesure l’impact que la vérité pourrait avoir sur cette famille. Elle a "peur de faire du mal", dit le Juge. Elle essaye alors de le convaincre de cesser de lui-même ("Je suis revenue parce que j’ai quelque chose à vous demander. Ne faites plus ça.") et de renoncer à sa vision cynique de l’humanité :

  Valentine : Vous vous trompez.
  Le Juge : Sur quoi ?
  Valentine : Sur tout. Vous vous trompez sur tout. Les gens ne sont pas mauvais. C’est pas vrai.
  Le Juge : Si.
  Valentine : Peut-être parfois ils n’ont pas la force, mais…

Elle cherche la faille émotionnelle : "On ne peut qu’avoir de la pitié pour vous. Je ne sais pas si vous savez, la chienne va avoir des petits."

Quand Valentine apprend que Le Juge a été dénoncé, elle se précipite chez lui car il serait insupportable qu’il puisse croire qu’elle l’a trahi :

  Valentine : Bonjour… Je suis venue… J’ai lu le journal… Je voudrais que vous sachiez que je ne l’ai dit à personne.
  Le Juge : Je sais.
  Valentine : À personne. Ni à la police, ni à personne.
  Le Juge : Je sais.

Elle découvre alors qu’il s’est accusé lui-même et que c’est la conséquence des échanges qu’elle a eus avec lui : que va devenir cet homme dont c’était la seule occupation et qui se retrouve l’objet de la colère vengeresse de son voisinage ? Mécanisme de défense du 2 oblige, elle ne peut plus alors faire autrement que changer d’attitude avec lui, passer du dégoût à l’acceptation et la pitié et l’aider de sa présence.

Valentine est de toute façon toujours prête à donner un coup de main aux autres : elle balaye les débris de la vitre brisée par les voisins du juge, donne son démaquillant à une collègue, offre sa télé au juge, aide une vieille dame à jeter ses bouteilles dans le conteneur…

Le Juge n’est pas dupe et détecte ce qu’il peut y avoir d’égotique dans cette attitude :

  Le Juge : Vous devriez aller lui faire ses courses. Vous vous sentiriez mieux.
  Valentine : Peut-être que c’est elle qui se sentira mieux.
  Le Juge : Pourquoi vous avez ramassé Rita dans la rue ?
  Valentine : Parce que je l’avais écrasée. Elle était blessée. Elle saignait.
  Le Juge : Si vous l’aviez laissée, vous auriez eu des remords. Certainement que dans vos rêves, il y aurait eu une chienne avec la tête écrasée.
  Valentine : Oui.
  Le Juge : Alors, pour qui avez-vous fait ça ?

Il est aussi conscient de son aspect fusionnel et il est révélateur que Valentine ne comprend pas le remède qu’il lui propose :

  Le Juge : Vous ne pouvez pas vivre la vie de votre frère à sa place.
  Valentine : Je l’aime. Si je pouvais faire quelque chose…
  Le Juge : Vous pouvez être.
  Valentine : Qu’est-ce que vous voulez dire ?
  Le Juge : Juste ça. Être.

Valentine a beaucoup de mal à rester seule :

  Valentine : Michel, je me suis sentie seule hier soir.
  Michel : Qu’est-ce que t’as fait ?
  Valentine : Pendant toute la nuit, j’ai dormi avec ta veste.

Mais en bon 2, elle n’avoue pas ce besoin aux autres. Quand elle dit "Appelle-moi Michel ! Je t’en prie, appelle-moi.", c’est seule dans son appartement. Avec Michel qui la maltraite et est toujours pressé et indisponible, la compulsion du type reprend le dessus : "Je comprends." Cette relation n’est évidemment pas la première à être insatisfaisante ("Ça recommence"), mais Valentine n’est pas consciente de son rôle ("Ce que je veux, c’est la paix, une vie paisible", une phrase typique de 2 sous stress).

Identification avancée : Valentine est un 2 μ à aile 1 de sous-type sexuel ("Séduction agressive")

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description du film