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Capitaine Conan
Analyse

Conan (Philippe Torreton) : 8

Conan est naturellement un chef de guerre. Bien évidemment, c’est la guerre qui lui révèle cette potentialité mais il sait parfaitement qu’elle était là avant le conflit : "Mon père disait : Chacun fait sa vie avec ce que le Bon Dieu lui a mis dans sa musette. Moi, c’est de taper. Fort, vite et tout le temps." Il est capable d’entraîner ses hommes dans les opérations les plus risquées. Le dernier combat, dans le delta du Danube, est particulièrement révélateur à cet égard. Pour repousser l’attaque ennemie, il regroupe des hommes qui étaient en prison parce qu’ils avaient déclaré que pour eux la guerre était finie et qu’ils n’avaient "plus d’ennemi" et il réussit même à emmener Jean Erlane qui jusque-là a passé la guerre dans le repli et la peur.

Quand il est avec sa troupe habituelle, les combats les plus dangereux et les plus violents deviennent possibles. Avec lui, la guerre, "c’est pas la riflette, [c’est] la tuerie". C’est que lui n’est pas "un soldat, [c’est] un guerrier, un loup". C’est une des raisons de son charisme : il est avec ses hommes dans les combats, là où d’autres officiers restent soigneusement à l’abri en arrière.

Une autre cause de son emprise sur ses soldats est sa capacité à prendre soin d’eux. Ils mangent normalement quand le reste des troupes est affamé ou atteint par la dysenterie, et que les officiers en sont réduits à manger des pommes de terre germées. Quand ils s’ennuient à Bucarest et qu’ils commettent divers larcins dans le lycée Français où ils sont logés, Conan commence par les invectiver : "Je vous laisse cinq minutes et vous avez déjà l’autre figure de fesse contre vous ! Mais vous avez autant de cervelle qu’un bigorneau ! Merde !" Ceci fait, sous couvert d’une marche de nuit punitive, il les emmène en ville pour une permission de minuit, puis se débrouille pour leur trouver un logement tranquille et les mettre à l’abri des autres officiers sous le prétexte d’un isolement sanitaire bidon.

La troisième composante du leadership de Conan est le fait qu’il protège ses hommes quoi qu’il arrive. Il se débrouille pour ne pas emmener Norbert au combat parce qu’il sait bien qu’il n’est pas de la même trempe que son équipe. Il prend lui-même le risque du conseil de guerre parce qu’"il prend tout sur lui". Quand il s’agit du vol des lattes du parquet du lycée Français pour faire du bois de chauffage, cela reste dans des proportions acceptables. Mais Conan pousse cette attitude jusqu’au bout, jusqu’à truquer des documents militaires pour sauver les tueurs du Palais des Glaces malgré les mises en garde de Norbert : "Fais pas ça, Conan ! Tu risques gros. C’est forcément un faux. Tu vas trinquer avec eux."

Que Conan soit un chef est tellement évident qu’il donne des ordres même à ceux qui ne dépendant pas officiellement de lui. Il prévient le lieutenant de Scève : "Dis à tes hommes que s’il y en a un qui tire un coup de fusil de trop, c’est à moi qu’il rendra des comptes." Car au fond, Conan fait peur ; il le sait et en joue. Il a la menace facile. Quand un agent de liaison lui apporte un ordre du commandement qu’il n’a pas envie d’exécuter, il est très clair :

  Conan : Tu m’as pas vu.
  Riguiou : Comment ?
  Conan : Pas vu. Pas trouvé. Et si le colonel me disait le contraire un jour, je te jure que je te retrouverai.

Car Conan n’applique les ordres que s’ils lui conviennent, sinon il les change : "Tenir la crête jusqu’à nouvelles instructions ! Alors que les autres se débinent ! On va leur courir au cul, oui !" C’est lui qui fixe les règles et les moyens pour obtenir ce qu’il veut lui importent peu : "Je voulais leur acheter une pièce [de vin de Bordeaux] Il n’y a rien eu à faire. Total, on leur en a sifflé deux. Sans rien payer." Conan est ce qu’il est, entier. C’est au monde de s’ajuster à lui :

  Norbert : Tu fais la guerre des copains avec les copains.
  Conan : Oui, ben faudra qu’ils s’adaptent les copains.

Quand la fin de la guerre lui impose de vivre autrement, il en est incapable :

  Conan : Nous, on y allait au couteau. On y voyait le blanc de l’œil au frère et on le crevait. […] C’est nous qui l’avons gagnée cette putain de guerre, nous les trois mille.
  Norbert : Et les autres ?
  Conan : Les autres, ils l’ont faite.
  Norbert : C’est fini, Conan. Les règles ont changé. Il faut s’adapter maintenant.
  Conan : Oui, c’est ça. S’adapter. Demande donc à un chien de s’adapter à la salade, tu vas voir.

Pendant la guerre, Conan s’est profondément senti vivant. Celle-ci terminée, il retourne en Bretagne dans sa mercerie. C’est une mort psychologique (qui se manifeste par sa désintégration en 5) et qui va précéder de peu sa mort réelle sous l’effet de la maladie, de l’alcool et du désespoir.

Identification avancée : Conan est un 8 α de sous-type social ("Protection mutuelle") à aile 7.

Norbert (Samuel Le Bihan) : 9

Norbert est de loin le personnage le plus intégré du film. Le trait le plus caractéristique de sa personnalité est sa volonté de comprendre les gens et les raisons de leurs actes. Cet amour pour les gens l’anime en permanence et même Conan qui n’est pas particulièrement sensible l’apprécie pour cela : "Toujours à chercher à comprendre. […] Bon zigue. Y a pas de honte." C’est la raison pour laquelle il a accepté la mission d’avocat de la défense au tribunal militaire : "Défendre ne me paraît nécessiter aucune technicité particulière, aucune formation juridique sérieuse. C’est affaire de compassion pour les camarades auprès desquels j’ai combattu."

Paradoxalement, c’est pour le même motif qu’il devient le commissaire-rapporteur (procureur) du même tribunal : "J’apprends mes droits, mes devoirs et comment empêcher les choses d’être horrible." Et il va exceller dans cette tâche. Il écoute chacun, plaignant et accusé, et construit des réquisitoires dans lequel il manifeste sa capacité à comprendre tous les points de vue : "J’ai beaucoup apprécié votre habileté de louvoyeur, cette façon de ménager la chèvre et le chou." lui dit de Scève.

L’épisode le plus flagrant est celui du procès des tueurs du Palais des Glaces. Norbert est sincèrement indigné par ce qui s’est passé. Il en arrive à se fâcher avec Conan malgré l’amitié et l’admiration qui le lient à lui : "Tu préfères tes voyous, hein ? Ce qui est à toi est à moi. Plus de loi ! Plus de morale !" Il fait tout pour démontrer leur culpabilité, enquête approfondie et interrogatoire poussé. Mais quand vient le jour du procès, il rappelle avec force leurs exploits et "grâce à [lui], ils s’en sortent avec le minimum."

Ainsi, l’accusateur est devenu "l’excusateur", celui qui fournit "aux coupables les moyens d’échapper à leur châtiment".

Norbert manifeste cette indulgence au quotidien. Alors qu’il est de service en ville et doit repérer les soldats en faute avec des consignes très strictes ("Toute intempérance doit être sanctionnée."), il laisse filer les deux premiers pochards qu’il rencontre : "Bon, ça va pour cette fois. Je ferai pas de rapport. T’embarque ton copain. Tout de suite, vite fait."

À part quelques éclats de voix avec Conan à propos de l’affaire du Palais des Glaces ou pour défendre sa conception de la justice, Norbert est étonnamment calme. Quand il découvre que Conan est parti sans lui en opération, il conclut avec placidité : "J’ai l’air d’un con." De même, il ne réagit pas quand il se fait tancer par son supérieur pour être arrivé en retard au mess, laissant Conan régler le problème à sa place.

Norbert a du mal à dire non ou à maintenir sa position après l’avoir dit, que ce soit pour refuser de goûter le civet des hommes de Conan, pour accepter le poste de défenseur, puis celui de procureur malgré toute l’horreur que la fonction lui inspire ("Non, non, le mot lui-même me terrifie. […] Accusateur, c’est impossible.").

Identification avancée : Norbert est un 9 μ de sous-type social ("Participation") à aile 1.

de Scève (Bernard Le Cocq) : 6

Le lieutenant de Scève se définit lui-même avant tout par l’appartenance à un groupe social : il est issu d’un "monde de privilèges, de vie facile, le monde de la naissance et de l’argent". Ce monde a ses règles et il importe de les respecter. C’est au nom d’une de ces règles qu’il est devenu militaire de carrière, qu’il s’est engagé dans l’active, qu’il combat en première ligne : "La contrepartie s’appelle courage au feu."

Une fois dans l’armée, il a intégré un nouveau groupe et là aussi il en respecte scrupuleusement les règles. Il ne s’oppose pas à son supérieur, un imbécile total ("Je suis absolument de votre avis, mon commandant."), il soutient une justice militaire qui n’a de justice que le nom ("J’estime que ceux qui sont frappés pour l’exemple ne sont jamais frappés à tort"), il tient à avoir une tenue impeccable ("Même en tranchées, je l’ai vu cirer ses bottes", dit Conan), il considère que se faire prendre par l’ennemi est un "très grand déshonneur". Il remplit sa mission même si elle ne lui plaît pas : "Je n’aime pas être à la place où je suis, mais j’y suis. […] J’ai fait ces dernières années bien des choses que je n’aimais pas faire." De Scève est typiquement un excellent militaire. Conan le reconnaît pour tel et l’en respecte, mais sent bien la différence entre eux : de Scève est "un soldat", là où Conan est "un guerrier".

Comme pour tout 6, son respect de l’autorité a des limites : "Il dit toujours ce qu’il a à dire", constate Conan.

Membre du centre mental, de Scève a pas mal d’humour : "Vous êtes vraiment étrange vous les civils. Ça ne vous plaît pas, vous, le théâtre des opérations extérieures ?" Il peut même l’exercer à son propos : "Je suis un militaire d’active, borné, brutal."

Le lieutenant de Scève prend soin de ses hommes. Dans les scènes de tranchée de début du film, on le voit qui cherche à les réconforter : "Allons, le café sera là dans une heure. […] On bouge pas. C’est le marmitage habituel. On dort." Lui qui devant son commandant approuve les fusillés pour l’exemple tient un tout autre discours à Norbert, l’excusateur : "Je pense qu’au fond des choses après tout ce que ces hommes viennent de vivre, c’est vous qui avez raison, va."

Cette indulgence disparaît dès qu’il est question de Jean Erlane : "Ce garçon est la tache, le déchet, celui qu’on devrait tuer à la naissance. Malheureusement cela ne se voit que plus tard, la lâcheté." C’est que Jean Erlane est issu du même milieu que lui et qu’il voit dans son attitude non seulement une trahison vis-à-vis de l’armée, mais aussi, et c’est là le pire, vis-à-vis de leur classe sociale commune.

On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une autre raison inconsciente à la haine que de Scève a pour Jean. Le lieutenant de Scève est un 6 contre-phobique qui se protège de la peur, passion du type, en la refoulant profondément (la compulsion est le seul élément vraiment visible du type). Jean est un 6 phobique en pleine désintégration. De Scève voit en lui son côté ombre, ce qu’il pourrait devenir s’il se laissait aller à la peur ; il éprouve le besoin de rejeter violemment ce spectacle. Il est significatif de constater que Conan, qui n’a aucun doute quant à son propre courage, peut lui faire preuve d’indulgence et de compassion pour Jean.

Identification avancée : de Scève est un 6 μ à aile 5.

Pitard de Lauzier (Claude Rich) : 7

Le général Pitard de Lauzier n’a que deux objectifs de guerre : avoir le moins possible de soucis et bien manger.

Parmi les principaux soucis à éviter, il a surtout Madeleine Erlane, une vague cousine qui veut retrouver son fils, puis obtenir sa grâce : "J’ai une bonne femme sur le dos. […] Vous allez m’en débarrasser. Dès qu’elle est calmée, vous me la refoutez dans le train et zou !" Pour le reste, il signe les documents qu’on lui présente en se moquant complètement de leur contenu. Peu lui importe qui est nommé procureur au tribunal militaire, peu lui chaut quelles sentences y sont émises :

  Norbert : Non-lieu.
  Pitard : Celui-là aussi ? Ah ! Après tout… En somme, vous êtes pour les non-lieux, vous ?
  Norbert : Lorsqu’ils s’imposent, oui mon général.
  Pitard : Non-lieu ! Allez hop ! Ça dégage !

Sa conversation est ainsi ponctuée de petits rires et d’onomatopées exprimant son soulagement de voir un problème réglé : "Allez hop ! Affaire bouclée !"

Mais qu’il s’agisse d’un repas, et le général Pitard trouve soudain autorité, énergie et intérêt pour les affaires :

  Pitard : Épatant ! J’adore le gibier. Envoyez les cuistots qu’ils nous découpent un joli morceau de filet. […] Et la hure ! Hein, une terrine de hure !
  X : Jamais ils ne sauront préparer une terrine.
  Pitard : Mais si. Envoyez-les moi. Je leur expliquerai.

Bon, c’est bien mais varié, c’est mieux :

  Pitard : Votre menu, Monsieur Ménard, voilà ce que j’en fais de votre menu ! [Il le déchire.] Je veux un merlan Colbert. Le sanglier, c’est terminé. Vous m’avez fait bouffer le plus gros ! Tout seul ! Si ! Je le sais ! Terminé ! Marre ! C’est pas sorcier le merlan Colbert. C’est un merlan. Frit. Fariné. Colbert.
  Ménard : Mon général, par ici les merlans, c’est pas un poisson qui court vraiment les rues.
  Pitard : Impossible is not French. Démerdez-vous.

Comme tous les membres du centre mental, Pitard a une problématique autour de la peur. Quand un coup de feu est tiré depuis le train qui l’amène à Bucarest, il s’affole : "Tiré sur quoi ? Faut m’éclaircir la lanterne, merde ! On tire de mon train sur quoi ?" D’après Madeleine Erlane, le général est surnommé "Le piteux Pitard".

Identification avancée : Pitard est un 7 α à aile 6.

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Jean Erlane (joué par Pierre Val), le jeune homme craintif accusé d’avoir déserté alors qu’il portait un pli confidentiel, est un 6 α de sous-type social ("Devoir") : il s’est engagé sans aucune vocation militaire ou patriotique parce que "presque toute la classe s’est engagée le même jour" et qu’il a "suivi le mouvement" ; le lieutenant de Scève le décrit comme le subordonné idéal.

Madeleine Erlane (jouée par Catherine Rich), la mère de Jean, est une 2 α de sous-type conservation ("Privilège").

Loisy (joué par Jean-Claude Calon), l’adjoint de Norbert quand celui-ci est procureur au tribunal militaire, est un 6.

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