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Cuisine et dépendances
Analyse

Martine (Zabou) : 1

La constante dans l’attitude de Martine, c’est la colère. Dès le pré-générique, quand elle rejoint Jacques dans le magasin avec une demi-heure de retard et qu’il lui fait remarquer que la signalisation des rayons est bien faite : "[Furieuse, en détachant bien les mots] Je ne l’ai pas vu. Tu crois que ça m’amuse de courir partout."

Martine sait comment le monde doit être organisé et comment les gens doivent se tenir (À Charlotte : "C’est tellement agréable quelqu’un de poli."). La colère est alors assortie de leçons : "Au fait, bravo Georges. Tu t’es distingué. Je te remercie. […] Franchement, mais quelle façon de dire bonjour." Elle fait "les gros yeux" à Georges pendant le repas.

Chaque chose doit être à sa place. Sa difficulté à trouver l’ouvre-boîte devient un vrai drame : "C’est Jacques. Il est incapable de remettre un objet à sa place." "Au fait Jacques, est-ce qu’on pourrait décider une bonne fois pour toutes que l’ouvre-boîte, c’est là. Tu ne le remets jamais à sa place. C’est là."

Personne ne trouve grâce à ses yeux : Jacques, Marylin, Charlotte, Georges, Fred. Ce dernier lui dit : "Ne sois pas si définitive. […] On peut pas discuter avec toi. Ne condamne pas les gens d’avance."

La jalousie qu’elle ressent au spectacle de l’attirance que l’invité éprouve pour Marylin la rend particulièrement agressive envers cette dernière :

  Martine : Marylin, de la tisane ?
  Georges : Ben oui, quoi ? Marylin, de la tisane. Y’a rien d’extraordinaire.
  Martine : Non, il n’y a pas de tisane. On a un seau d’eau froide si elle veut. Une tisane ! Non, mais quelle excitée, celle-là.

Cela n’empêche pas Martine de ne pas supporter que les autres soient en colère après elle. Dans le grand magasin du début du film, elle exige de Jacques : "Ne commence pas à m’engueuler." Plus tard dans la cuisine : "Ne me parle pas comme ça. […] Je te demande de me respecter."

Martine se veut quelqu’un d’honnête : "Je déteste le poker. Je ne supporte pas le mensonge d’une manière générale." Aussi, quand Fred découvre qu’elle a eu autrefois une aventure avec l’invité, il se régale :

  Fred : Et bien, voilà quelque chose de pas très moral. Par exemple !
  Martine : Tu ne sais rien. Tu dis n’importe quoi. Ne commence pas à m’énerver, Frédéric.
  Fred : [Il rit.]

Elle a très peu d’humour que ce soit sous stress avec Georges :

  Martine : Franchement, mais quelle façon de dire bonjour.
  Georges : Oui, oui, oui. Je comptais justement aller m’excuser. Je vais lui faire une révérence et puis je vais lui réciter un petit poème de bienvenue. Je suis sûr qu’il y sera sensible.
  Martine : Il est fou.

ou même dans des moments plus normaux avec Charlotte :

  Martine : Je le hais cet appareil. Et toi ?
  Charlotte : Je le connais pas encore. Mais c’est vrai qu’il a l’air un peu lent.
  Martine : Qui ça ?
  Charlotte : Non, non. Euh. Je plaisantais.

Comme tous les personnages du film, Martine est sous stress fort et manifeste des signes nets de désintégration. C’est particulièrement évident chez elle et cela la conduit dans son type de désintégration, le 4. Cela se traduit par un souci de l’image : le changement de robe, Jacques qui ne doit pas se mettre en colère "surtout devant les gens"… Elle manifeste aussi, au-delà de l’anxiété du 1, la tendance du 4 à prendre pour lui toutes les critiques qui passent à portée :

  Charlotte : Sale tête, hein ?
  Martine : Qui ? Moi ?
    […]
  Jacques : Ça fait combien de temps que t’a pas mis cette robe ?
  Martine : Elle me va pas ?

Enfin, le mouvement en 4 est évident lors de la pathétique dépression finale, dans la cuisine d’abord :

  Martine : J’en ai marre. Qu’est-ce que j’en ai marre !
  Jacques : De quoi ?
  Martine : De tout.

puis dans sa chambre : "C’est moi. C’est ma vie. […] J’en ai marre de ma vie. On fait rien. Je travaille pas, je stagne. […] Je voulais avancer, moi. J’aurai voulu créer des choses, être utile, participer à une action humanitaire, sauver des gens. […] Oui, on ne sait plus pourquoi on est là."

Identification avancée : Martine est un 1 α à aile 2 de sous-type conservation ("Anxiété").

Jacques (Sam Karmann) : 9

Jacques passe le film à essayer d’arranger les choses. Il a bien quelques moments d’irritation mais reprend chaque fois son calme et cherche à concilier de sa voix apaisante :

  • Avec Georges qui ne supporte pas le retard des invités : "Et puis on n’attendait pas sous la pluie. On était dans le salon, tranquillement. On discutait entre nous." ou "Et puis, on va alléger un peu. Moi, je crois qu’il faut dédramatiser. Tu crois pas Georges ?" ou "Georges est dans une situation délicate." Après avoir été un (tout petit) peu agressif avec Georges pour défendre Martine, il trinque immédiatement avec lui pour détendre l’atmosphère.
  • Avec Fred : "J’ai rien dit. […] Je ne te fais pas la morale, Fred. Je ne veux pas que tu changes de vie." Après lui avoir dit qu’il voulait qu’il "change de banque", il lui prête néanmoins de l’argent.
  • À propos de l’invité qui fait "des réflexions sur la bouffe" : "Il a faim, c’est normal."
  • Avec Martine surtout : "Je te trouve bien remontée. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tinou, qu’est-ce qui t’arrive ?" Quand il se met en colère après elle, il s’excuse immédiatement : "Ça ne devrait pas arriver."

Pour éviter les conflits, il est prêt à mentir. Il affirme plusieurs fois que c’est lui qui a invité Charlotte et son mari. Il ment aussi à Martine :

  Martine : Mon frère t’a demandé de l’argent ?
  Jacques : Oui.
  Martine : Je ne lui ai pas prêté un sou. Je te préviens, hein ?
  Jacques : Moi non plus.

Martine dit de lui : "Jacques qui sait pas dire non a dit oui." À la fin pourtant, il force Fred à rendre le chèque de l’invité mais on sent bien qu’il fait sienne la colère de Martine et l’affaire lui coûte quand même 80 000 F, les 70 000 que lui doit Fred et 10 000 supplémentaires qu’il lui donne !

Il est facilement confus et hésite à prendre une décision, même quand il s’agit d’éteindre le four : "Je pourrais éteindre. Est-ce qu’il faut éteindre ? Vous croyez-vous ? […] Elle est où Martine ? Qu’est-ce que je fais moi ?"

Quand il discute avec Martine lors de sa crise dépressive, il fusionne avec elle et est aussi triste qu’elle : "Tout le monde passe par là. D’une heure à l’autre, on est dégoûté de tout. On ne sait plus pourquoi on est là." On a bien là l’absence d’espérance d’un 9 en désintégration.

Identification avancée : Jacques est un 9 μ de sous-type sexuel ("Union").

Fred (Jean-Pierre Darroussin) : 7

Fred se laisse vivre. Il joue au poker. Quand il gagne tant mieux ; quand il perd, il emprunte de l’argent à sa sœur et à son beau-frère. D’une irresponsabilité enfantine, il ne se soucie de rien. Georges dit de lui : "Tu le connais, ton frère. Il ne s’en fait pas. Il ne veut pas qu’on s’en fasse." et Martine déclare se faire "presque plus de souci pour [lui] que pour [ses] deux [enfants] réunis" et affirme qu’il sera "toujours dans une sorte de merdier".

Il doit de l’argent à des joueurs qui le harcèlent et dont on devine qu’ils le menacent. Cela le conduit à essayer de taper tout ce qui bouge et a un portefeuille, mais ne l’empêche pas de garder optimisme et bonne humeur :

  Georges : Elle est vraie cette histoire ?
  Fred : [Rires] Bien sûr que oui, elle est vraie.

Ce qui compte, c’est de s’amuser. Faire de l’humour. Alors que l’invité est resté seul au salon avec les femmes, il rejoint Jacques et Georges à la cuisine :

  Fred : Ramenez-vous les gars, il est en train de les partouzer toutes les trois.
  Jacques : Comment ça partouzer ?
  Fred : Eh bien, il… [Il mime l’acte sexuel.]
  Jacques : [Affolé, il se lève et il se précipite vers le salon.]
  Fred : Non, non, c’est des conneries. [Il rit.]

L’humour peut devenir agressif, cela ne compte guère :

  Jacques : [Parlant de Marylin] Elle fait quoi ?
  Fred : Pute. […] Normale. Bénévole.

De toute façon, les gens peuvent être classés en deux catégories, ceux qui savent rire et les autres. Du bon côté, il y a l’invité : "J’ai trouvé sa réaction impériale. […] Beaucoup d’humour." ou "Ce type est archi-rigolo." De l’autre, il y a ceux qui le harcèlent pour obtenir le remboursement de sa dette de jeu : "Autant te dire qu’ils ont un minimum de sens de l’humour dans ces cas-là."

Fred combat la peur des autres que vivent inconsciemment les 7 en les abordant par le biais de l’humour. La soirée est déjà bien écoulée, mais quand il croise Charlotte, il lui déclare "Il est long ce couloir, hein ?" et il rit ; plus tard, quand il viendra chercher des allumettes dans la cuisine et qu’il s’aperçoit que Charlotte est là, il joue aux castagnettes avec les boîtes et lui sourit.

Fred a du mal à s’engager dans une relation. Il a quarante ans et papillonne encore d’une femme de rencontre à une autre :

  Fred : Ça tout de suite été the coup de foudre. D’ailleurs, on se quitte plus là depuis quatre jours. Sauf quand je joue, hein. Bien entendu. Comme malheureusement, j’ai beaucoup joué…
  Georges : Rien de définitif, encore.
  Fred : Non, non, non. Ça démarre doucement, on s’observe.

Fred ne s’occupe pas des autres. Par exemple, il est le premier à arriver à la réception, alors que Martine et Jacques sont encore en train de préparer le repas et la table. Il n’est évidemment pas question qu’il les aide. Il s’assoit, se sert un verre et s’attaque aux pistaches de l’apéritif. Quand le plat brûle dans la cuisinière, il se défile : "Moi, j’ai pas de nez, alors…" Dès que Jacques lui a prêté de l’argent, il laisse tout le monde en plan… mais demande qu’on l’attende pour commencer le repas. Quand il joue avec l’invité, il s’amuse de l’anxiété de Martine et de Jacques :

  Jacques : À chaque fois que je lui fais signe d’arrêter, il me regarde comme si je venais de lui raconter une histoire drôle. Ça le fait rire. Ton inquiétude, mon inquiétude, ça le rend hilare.

Plus tard quand il a gagné 80 000 F au poker, il dit à Jacques : "Moi, je suis tout à ma joie et je ne t’écoutais que d’une oreille."

De toute façon, la fuite est sa réaction quand une source de souffrance se pointe à l’horizon. À la cuisine, la relation se tend entre Jacques et Georges ; Fred s’en va immédiatement : "Je vois que l’ambiance est bonne ici aussi. Je vais passer au salon pour alterner un peu." Quand Jacques veut le retenir jusqu’à ce qu’il ait remboursé l’invité :

  Fred : Donc, tu m’empêcherais de partir ?
  Jacques : Oui.
  Fred : Physiquement ?
  Jacques : [Silence]
  Fred : Ben, on va essayer alors. Ça peut se tenter.
  Jacques : [Il l’arrête.]
  Fred : Et oui, il m’en empêcherait. [Sourire] Et ben, on peut pas gagner à tous les coups.

Identification avancée : Fred est un 7 α à aile 6.

Georges (Jean-Pierre Bacri) : 4

Georges vit en permanence la souffrance, le pessimisme et la tristesse d’un 4 en désintégration. Martine parle de son "inaptitude totale au bonheur" et sait que "il n’y a pas grand-chose qui l’amuse". Jacques dit qu’il est "le contraire d’un gai".

Mais comment être gai quand le monde est ce qu’il est :

  Georges : Qu’est-ce que tu as pensé de ce que tu as lu ?
  Charlotte : C’est-à-dire ?
  Georges : La nouvelle. C’est, c’est juste pour savoir. Par curiosité.
  Charlotte : Très bien. Si je me souviens bien, c’était un peu sombre, non ?
  Georges : Extrêmement. Extrêmement sombre. J’écris ce que je vois.
  Charlotte : C’est toujours aussi facile de parler avec toi.

Ce serait perdre tout sens humain : "Je suis un être humain. Pas un animateur."

Georges a un sens de l’humour redoutable, mais c’est un humour sans joie.

Georges veut être respecté. Le retard des invités est insupportable : "Ah quel mépris ! Deux heures de retard ! Et pour finir un prétexte débile trouvé à la va-vite. Même pas été foutus d’inventer quelque chose de plausible. Il n’y a que du mépris là-dedans." Il se bat là pour préserver sa dignité humaine : "Je préfère être à cheval [sur les principes] qu’à genoux."

Ses sentiments, il les exagère et les dramatise. Quand Jacques lui demande "d’alléger", il répond : "Oui, oui, ben je fais ce que je peux. Tel que tu me vois là, je… je dédramatise déjà beaucoup. C’est peut-être pas très spectaculaire, mais je prends énormément sur moi là."

Georges affirme sa différence. Quand on lui dit que 75 % des gens sont d’accord avec l’invité, il explose : "C’est la majorité ! Et puis c’est tout ! Et puis voilà ! Laquelle d’abord ? Laquelle ? Celle qui pensait que la terre était plate ? Celle qui veut rétablir la peine de mort ? Celle qui se fout une plume dans le cul parce que c’est la mode ? Laquelle exactement ?" Il se sent en conséquence plus proche de Fred dont il partage l’indifférence vis-à-vis des conventions que du conformisme de Martine et de Jacques.

Georges aimerait avoir des relations vraies avec les autres mais c’est impossible : "De toute façon, on passe sa vie à meubler [la conversation]." Pourtant ce qui compte dans la vie, c’est qu’il y ait "une petite pointe d’amour". Cela seul vaut et reste : "Ça dure quoi un beau cul ?"

Son amertume et sa douleur font que les autres ont l’impression qu’il les méprise et qu’il se croit parfait. Martine en a "par-dessus la tête de ses airs de supériorité" et Charlotte l’accuse de vivre "sur son rocher". Tout montre en fait que Georges n’est pas sûr de lui (il ne sait pas comment se débarrasser du veilleur de nuit de l’hôtel !) et que tout rejet le blesse profondément.

Identification avancée : Georges est un 4 α à aile 5 de sous-type conservation ("Intrépidité").

Autres

Le personnage de Charlotte (joué par Agnès Jaoui) est beaucoup moins clair, sans doute trop marqué par le type réel de l’actrice. C’est d’ailleurs une des difficultés du film ; au moins deux acteurs (Jean-Pierre Bacri et Jean-Pierre Darroussin) jouent un type qui ne correspond très probablement pas à leur type dans la vie.

Ceux qui connaissent bien l’Ennéagramme peuvent par contre faire une hypothèse sur les types des personnages qui n’apparaissent jamais à l’écran, l’invité et Marylin.

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