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L'Ennéagramme dynamique : type 5 (3e partie)
Tom Condon (Traduction par Jannik Hagen)

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Bob, un de mes clients 5, est parti en voyage dans une ville de villégiature où il vécut jadis. Il souhaitait travailler sur quelques difficultés reliées à son type 5 et s'était organisé une retraite d'une semaine. J'étais d'accord de le recevoir pour plusieurs séances. Comme je n'avais pas de bureau à cette époque, nous avons décidé de nous voir quotidiennement dans sa chambre d'hôtel à 11 heures.

Nous discutions du type 5 au début de la première séance, et j'ai fait part à Bob d'un rapport que j'avais vu la nuit précédente et qui parlait du comportement des vers de terre. Se demandant pourquoi les vers de terre sortent de terre quand il pleut, un groupe de biologistes a émis une théorie selon laquelle la peau du ver de terre n'étant pas étanche, il risque de se noyer quand l'eau de pluie s'infiltre dans le sol. Si le ver reste sous terre, il va progressivement se gonfler d'eau et mourir, et donc il rampe vers l'extérieur pour échapper à la saturation. Il court à présent le risque de se faire manger par les oiseaux, mais c'est vraisemblablement mieux que de se noyer. Ceci me rappelait le dilemme de 5 qui peuvent avoir des limites faibles et perméables qu'ils agrandissent ensuite afin de compenser.

Au moment même où je finissais mon histoire sur les vers de terre, comme si c'était le bon moment, quelqu'un frappa à la porte. Bob se leva et ouvrit la porte à la femme de chambre. Elle dit : "Je suis ici pour nettoyer la chambre." Malgré le fait que nous étions en pleine séance, Bob dit : "Oh, d'accord."

La femme de chambre entra et rapidement se mit à passer bruyamment l'aspirateur. Bob dit : "Bon, comme elle est là, allons sur le balcon. Nous pourrons fermer la porte le temps qu'elle termine." Nous avions purement et simplement été chassés de la chambre.

Nous nous assîmes à l'extérieur. Le balcon était petit et donnait sur une grande rivière et de bruyantes chutes d'eau. Je ne m'entendais plus. "Ça vous va ici ?" demanda Bob, qui semblait mal à l'aise et approchait sa chaise. À ce moment, des guêpes commencèrent à tournoyer au-dessus de nos têtes. Bob semblait réfléchir à la situation. Il se leva brusquement et retourna dans la chambre. Après un certain temps il réapparut et dit : "Revenez à l'intérieur, elle est partie." Il avait demandé à la femme de chambre de revenir plus tard.

Cet incident était la métaphore du dilemme des 5 et de sa résolution. Très souvent les 5 présument que le monde n'est socialement pas négociable et ils autorisent passivement les autres à agir au lieu de prendre eux-mêmes l'initiative. Bob a autorisé le nettoyage de sa chambre (limite faible). Ensuite, nous avons dû battre en retraite sur le balcon et fermer la porte — une compensation avec des limites trop fortes. Là, nous nous assîmes, désagréablement exposés aux éléments, en utilisant le peu d'espace disponible dans l'attente de recouvrer le territoire perdu de la chambre de Bob.

Le jour suivant, je suis arrivé à 11 heures pour une deuxième séance. Nous nous sommes installés, et Bob a commencé à parler des sujets qu'il voulait travailler. Après quelques minutes, j'ai dit : "Vous savez, je suis préoccupé. J'attends de voir ce qu'il va se passer quand la femme de chambre va arriver." Bob a souri et a dit : "Oh, ne vous inquiétez pas, j'ai déjà tout arrangé. Elle viendra à 14 heures." Il lui avait demandé de faire de même le restant de la semaine.

En décidant de prendre l'initiative et en définissant directement sa position, Bob s'est donné ce dont il avait besoin le plus tôt possible et a démenti sa propre hypothèse que le monde était non négociable. La définition d'une limite ferme et appropriée a empêché une autre intrusion et tout besoin de compensation. S'imposer tôt dans le processus a agi comme une médecine préventive qui a court-circuité le besoin de surréagir plus tard.

Au fait, une étude ultérieure des vers de terre a conclu qu'ils ne se dirigent pas vers la surface quand il pleut pour échapper à la noyade, mais pour trouver un partenaire.

J'ai raconté cette histoire à Jim, un autre 5, qui a reconnu et joliment défini le paradoxe des défenses de son style : "C'est comme si je ne pouvais traiter qu'avec des extrêmes, disait-il, je sais comment être complètement détaché et avoir des limites hautes, mais je ne sais pas vraiment comment négocier au niveau des relations. Ou je m'efface et m'aliène quelqu'un d'autre, ou je réalise soudain ‘Oh mince, je me suis complètement perdu dans ce qu'ils voulaient'"

Je lui ai demandé : "Et à partir de ce moment, est-ce que tu accumules une certaine colère ou agressivité que tu aurais pu utiliser au début ?"
Tout juste. Mais à cet instant les autres sont surpris et cela leur paraît excessif.
Donc, c'est comme si tu étais sur le balcon, la femme de chambre étant à l'intérieur en train de passer l'aspirateur, et que soudainement tu ouvres violemment la porte et la fiches dehors avec colère ? Et que de son côté elle ne comprenne pas, elle n'a rien fait de mal à part faire son travail de nettoyer la chambre — avec ta soi-disant permission ?
— Absolument. Quand cela se produit avec ma femme, elle dit
"Mais tu n'as rien dit avant !" Et c'est curieux. Ce n'est pas comme si je savais que cette réaction se produirait et que je refusais consciemment de dire quoi que ce soit. Je ne réalise pas moi-même ce qui se passe.
— À part peut-être inconsciemment. Je veux dire, quelque chose en toi sait quand tu ne te sens pas bien, quand une situation peut mener à la saturation ou à une intrusion. Mais peut-être que quelque chose dans ta tête te dit :
"Oh, ce n'est pas si important, je n'ai pas envie de faire mon cinéma."
Non. Je pense que je ne veux pas admettre que j'ai des besoins. Même pour quelque chose de mineur, c'est comme si "j'avais besoin que vous n'entriez pas maintenant". C'est bizarre, mais je pense qu'à un certain niveau le risque est que j'admette que j'ai des besoins. Ce qui mène à une plus grande menace.
Donc, quand tu essaies de refuser d'admettre que tu as des besoins, qu'est ce que cela satisfait comme besoin ?
Je dirais que c'est le besoin de ne pas être envahi. Cela ne fait pas beaucoup de sens quand je regarde les choses de cette façon. Je veux dire, je me laisse envahir parce que je ne veux pas être envahi.

De la pensée à l'action

Un 5 qui a grandi aux Caraïbes avait 12 ans quand la Seconde Guerre mondiale éclata. Il a commencé à écouter la radio, à lire les journaux et a grandi fasciné par le thème de la guerre. Il a passé presqu'une année obsédé par la question : "Lorsque je serai grand, devrais-je me porter volontaire pour partir à la guerre ?" Il pensait à cette question constamment et débattait souvent avec ses parents et amis s'il devait aller à la guerre ou devenir objecteur de conscience.

Un jour, finalement, il décida que pour lui c'était mal de tuer quelqu'un, même si c'était pour servir sa patrie et encore moins une île qui n'était absolument pas touchée par la guerre. Il conclut que s'il devait un jour être appelé à la guerre il deviendrait un objecteur de conscience.

Cela semblait répondre à sa question mais il ne se sentait pas encore tout à fait bien ; quelque chose n'était pas résolu. Il réalisa pourquoi par la suite. Quoiqu'il ait décidé qu'il n'irait jamais à la guerre, il devrait un jour ou l'autre aller travailler. Aller faire la guerre ou aller travailler représentait la même chose dans son esprit.

L'agoraphobie qui est la peur de s'aventurer à l'extérieur, signifie littéralement "peur de la place du marché", et plus d'un 5 a dit qu'il voyait le monde extérieur comme une sorte de zone de guerre sociale, pleine de forces imprévisibles, d'attentes et d'exigences.

Plusieurs professeurs des écoles de type 5 m'ont décrit la torture que représentaient les permanences — ces moments où ils sont obligés de laisser leur porte ouverte aux étudiants. Ils témoignent de la lente montée de cette impression de saturation et d'invasion qui fini par atteindre une limite. Une fois ces heures de permanence terminées, ils ne pensent plus qu'à une seule chose, c'est de rentrer à la maison, de s'enfermer dans leur bureau et d'être seuls avec leurs livres.

Une autre 5 — une gestionnaire de haut niveau dans une grande entreprise — qui avait travaillé sur ses peurs et qui disait qu'elle savait les gérer et même les maîtriser, a expliqué comment elle a fait la paix avec un dilemme similaire. "Je suis dans mon bureau avec la porte fermée tout simplement car je me sens mieux comme ça. Mais je suis allé voir chaque personne du département ainsi que chaque nouveau salarié et leur ai expliqué individuellement ma façon de procéder, et que mon bureau était à leur disposition quand ils souhaitaient venir me parler. Et ils le font."

Quand les 5 grandissent et changent, ils s'ouvrent généralement au monde, attribuant de la valeur aux actions et aux résultats plutôt que de se tenir en retrait ou de continuer à rassembler de l'information ; ils vivent le présent plutôt que d'anticiper le futur. Ils y arrivent de plusieurs façons.

Quelques 5 choisissent un journal intime comme moyen d'exprimer leurs idées, de les capturer et d'aller à la rencontre de leurs sensations. Comme je l'ai mentionné dans l'article précédent, beaucoup de 5 parviennent à ressentir à travers un effet d'entraînement. Ils digèrent et intègrent leur expérience auditivement et visuellement en pensant en mots et en images avant d'en arriver à comment ils se sentent. "Tenir un journal intime est un bon moyen de discuter des choses sans ennuyer les gens à mourir" dit un 5. Un autre ajoute : "Nous ne savons vraiment pas comment nous nous sentons. Les 5 doivent beaucoup penser à ce problème. J'ai trouvé que le journal intime pouvait aider ; quand il devient plutôt verbeux je finis par capturer mes émotions." Un autre 5 acquiesce : "Quand je ne sais pas comment je me sens, je l'écris dans mon journal intime. J'exprime tous mes mots et toutes mes pensées sur le papier, et puis je découvre que mes émotions attendent en dessous."

Alors qu'écrire dans son journal intime et utiliser d'autres formes d'expression — sans mentionner parler à de vraies personnes — aident les 5 à calmer leur esprit et à prendre contact avec leurs émotions, une autre étape fructueuse est d'intégrer les sensations du corps. Pratiquer le yoga, le Tai-chi, la danse, le travail du corps et les massages soutient cet effort. Des 5 disent que faire de l'exercice pendant la journée les aide à dormir la nuit et en plus, réduit le volume de leurs pensées.

Nombre de 5 rapportent qu'ils se sentent au mieux quand ils combinent la pensée et l'action en intégrant l'esprit et le corps. Quelques-uns mentionnent le Zen qui se concentre sur l'effacement du temps entre la conception et l'action : "J'ai trouvé que fonctionner en termes Zen était vraiment constructif : être en fait dans l'instant présent et laisser mon corps ressentir ce que j'ai à faire."

"Jadis, si j'avais à me rendre à l'épicerie, il m'arrivait de commencer à penser aux longues étagères, à prévoir le temps que cela allait prendre et à penser à combien cela allait être désagréable. Alors, fréquemment, je n'y allais pas. Mais à présent, je m'autorise à y aller, sans penser, en étant juste dans l'expérience. Et plus j'ai pratiqué cela, moins je me mettais à penser et à m'égarer dans l'inactivité."

Un autre 5 ajoute : "Agir sur les pensées ne signifie ni que vous devez vous arrêter de penser quand vous avancez, ni que vous êtes bloqué dans une voie une fois que vous vous êtes mis en mouvement. J'ai développé une faculté de penser en marchant. Être capable de réfléchir par moi-même me met même plus en sécurité et en confiance."

Quelques 5 vont même jusqu'à accepter la confrontation quand c'est nécessaire : "Je vis avec une 8 et j'ai appris que, même si elle est désagréable, la colère peut produire des résultats positifs dans la confrontation qui, malheureusement, est souvent nécessaire en ce monde." Les 5 ont une connexion au 8 qu'ils peuvent facilement intégrer avec le temps.

Un client du type 5, calme et mesuré, vient dans mon bureau. Nous avions travaillé ensemble un an auparavant pour améliorer ses compétences sociales. Ces changements l'ont bien aidé pour son récent mariage et sa nouvelle carrière. "Maintenant, dit-il, j'ai un problème. Ma femme poursuit des études supérieures. Nous avons été séparés pendant deux mois et j'irai la voir pendant les vacances."

"Un homme s'est mis à la suivre, à la lui téléphoner et à la harceler. Elle a bien essayé de l'éviter et de le repousser, mais elle est une personne plutôt courtoise et rien n'a vraiment marché. Elle a alerté les autorités du campus mais le jeune homme a continué à faire des trucs comme lui envoyer des fleurs et lui téléphoner." La situation s'envenimait, et mon client voulait savoir comment s'y prendre.

C'était un vendredi après-midi. Il prévoyait de partir le lundi suivant et donc je lui ai donné des devoirs à faire à la maison. J'ai établi une liste de six vieux films de Clint Eastwood qu'il devait aller louer. Eastwood jouait souvent des rôles de 8 qui pouvaient exprimer une colère calme qui donne froid dans le dos. Il ne criait jamais mais pensait à fond ce qu'il disait. Je savais que le type de colère rentrée d'Eastwood conviendrait au tempérament de mon client et qu'il serait plus facile pour lui de s'identifier au personnage.

J'ai donné à mon client une liste de films. Sa mission était de les louer, de les regarder tous les six le week-end et d'imiter Eastwood, de s'imaginer en permanence ce qu'on pouvait ressentir en canalisant la fureur calme de l'acteur.

Je n'ai plus revu mon client, mais j'ai appris par une tierce personne comment le problème avec le harceleur s'est résolu. Mon client est arrivé à l'appartement de sa femme et dans les minutes qui suivirent l'homme appela. Mon client a demandé à sa femme de lui donner le téléphone, puis il lui a tourné le dos, a parlé doucement pendant environ une minute et a raccroché. Ce fut la dernière fois que le harceleur appela ou importuna la femme de mon client. Plus tard elle rapporta : "Je ne l'avais jamais vu comme ça. Même moi j'étais effrayée."

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Tom Condon a enseigné lors de plus de 600 séminaires aux États-Unis, en Europe et en Asie. Directeur de Changeworks à Bend dans l'Oregon, il a été membre adjoint de l'Université d'Antioche et de l'Université de Californie à Berkeley. Il est l'auteur de plus de 50 programmes sur cassettes, vidéos et livres, dont The Dynamic Enneagram en DVD et CD. Tom propose des séminaires et consultations spécialisés pour les entreprises et les organisations aux États-Unis et en Europe. Pour toute information concernant ses séminaires ou un catalogues des produits de Dynamic Enneagram, envoyez un email changewk@yahoo.com ou téléphonez au 541-382-1894. – http://www.thechangeworks.com